Le temps des illusions

la banque générale. Voici donc la banque deLaw qui aide à résorber la dette publique et qui, de ce fait, se trouve liée au système financier de l’État.
    Décidément, la chance sourit à John Law. Son entreprise prend une ampleur insoupçonnée avec la création de la Compagnie de l’Occident. Il s’agit de l’exploitation d’énormes territoires en Amérique du Nord et tout cela, ironie du sort, grâce à la chambre de justice. Ce tribunal vient de frapper AntoineCrozat, l’un des hommes d’affaires les plus puissants de France, d’une amende de 6 600 000 livres. Menacé de ruine, Crozat a préféré transiger avec ses juges. Il leur a proposé de donner à l’État une concession qui lui avait été consentie pour quinze ans en 1712 sur la Louisiane. Le Conseil des finances et le Régent ont accepté cette offre. Ainsi le 21 août 1717 est née la Compagnie de l’Occident. Law prévoit d’émettre 120 000 actions de 500 livres chacune payables en billets d’État ! Le 6 septembre, des lettres patentes concèdent à cette compagnie le privilège du commerce avec la Louisiane pour vingt-cinq ans. Le 14 septembre, les souscriptions ont été ouvertes sans rencontrer le succès escompté, mais Law ne se décourage pas. Il a bien l’intention maintenant d’obtenir que sa banque devienne banque d’État. Jusqu’où ira-t-il ?

    Paris sur scène
    Si les mœurs se sont libérées, tous les Parisiens ne se livrent pas à la débauche comme on serait tenté de le croire. La capitale offre des plaisirs honnêtes. Ainsi les théâtres sont-ils des lieux très fréquentés. Le Théâtre-Français propose des places à tous les prix. Depuis 1697, il s’est installé rue des Fossés-Saint-Germain 10 dans une élégante salle ornée de boiseries vert et or, dont le plafond peint par BonBoulogne éclairé par quatorze lustres de verre donne à l’édifice un air de majesté. Avec ses trois balcons, son amphithéâtre et son parterre où le public se tient debout, cette salle peut recevoir 1 600 personnes. Les acteurs, qui sont avant tout les Comédiens du roi, dépendent des gentilshommes de la Chambre. Ces grands seigneurs, attachés à la personne du souverain, se conduisent avec eux en maîtres absolus. Ils procèdent aux engagements, distribuent les rôles, édictent des règlementset veillent à la bienséance des pièces soumises à un censeur, l’abbé Cherrier, un prêtre bon vivant qui compose pendant ses loisirs un Almanach de la table dans lequel il glisse des réclames déguisées et rémunérées en nature. Il ne cache pas son goût pour les gaillardises. Récemment obligé de supprimer cette phrase : « Il n’est rien de plus intéressant pour le public que d’être propriétaire d’une belle femme dont chacun tâche d’avoir l’usufruit », il a noté en marge : « La pensée est pourtant délicate »… Mais l’abbé est impitoyable pour tout manquement au respect de l’autorité.
    Les Comédiens-Français jouent toujoursMolière (c’est lui qui attire le plus grand nombre de spectateurs),Pierre et ThomasCorneille,Racine, mais aussi des auteurs contemporains,Destouches,Dufresny,Crébillon, Jean-BaptisteRousseau et l’inévitableDancourt, une vedette qui commence à s’essouffler. Auteur prolifique, il a écrit depuis 1685 des dizaines de « dancourades », comédies bien enlevées quelquefois proches de la farce, qui s’inspirent de faits divers, ou d’une actualité plus relevée. Elles se terminent généralement par des divertissements chantés et dansés. Comme Dancourt fait partie de la troupe, il interprète ses propres œuvres et aussi celles des autres. Tout le monde s’accorde à le trouver meilleur auteur que comédien ; il conserve ses admiratrices, qui vieillissent avec lui.
    Rien ne prédisposait Dancourt à mener pareille carrière. L’amour seul l’a conduit. Né dans une famille de petite noblesse ayant abjuré la religion réformée, il allait commencer une carrière d’avocat lorsqu’il tomba amoureux d’une comédienne de dix-huit ans appartenant à la troupe du prince de Condé. Il l’épousa, écrivit une première tragédie et monta sur les planches. Le jeune ménage eut l’honneur d’entrer peu après dans l’illustre compagnie et de se produire devantLouis XIV. Malgré leur vie privée assez houleuse et une brève séparation, les Dancourt demeurèrent ensemble. Leurs deux filles ont suivi leur exemple et campent