Le temps des illusions
Pont-Tournant, il s’est entretenu avec les charpentiers. Il a visité les Invalides où il a voulu tout examiner en détail, finissant par le réfectoire où il a bu et trinqué avec les soldats. À la Sorbonne, il s’est précipité sur le tombeau de Richelieu et s’est écrié qu’il donnerait la moitié de son empire à un homme tel que lui, pourvu qu’il l’aidât à gouverner l’autre moitié ! Il a assisté à une séance de l’Académie des sciences, à une autre aux belles-lettres. Il n’a pas manqué non plus de visiter l’hôtel de la Monnaie.
Les Parisiens se portent en foule sur son passage. Parfois importuné, mais jamais gêné, le tsar éloigne d’un geste ces badauds ou bien s’en va là où sa curiosité l’appelle. Il peut entrer dans la première voiture qu’il trouve et donner l’ordre de partir. C’est ainsi que la maréchale deMatignon n’a pas retrouvé son carrosse… Les spectacles et les fêtes amusent peu ce prince. Il a pourtant accepté d’assister à une représentation à l’Opéra avec leRégent. Vers le milieu de soirée, il a demandé à boire de la bière.Le duc d’Orléans en fit aussitôt apporter, se leva lui-même pour lui présenter un gobelet. Il le but sans se lever et le remit au Régent toujours debout. Sans plus de façons, il partit peu après pour aller souper avec sa suite. Il fait toujours preuve d’un grand appétit et vide deux bouteilles de vin à chaque repas. Le tsar ne s’embarrasse pas de visites protocolaires. Il fut pratiquement forcé de faire son compliment àMadame, mère du Régent, à la duchesse d’Orléans et à la duchesse deBerry, mais il s’en tint là, au grand dépit des princes du sang, mortifiés d’être tenus pour rien.
Pierre I er brûlait de voir Versailles, ce temple de la majesté si célèbre en Europe. Il y passa plusieurs jours et coucha à Trianon où l’ancien valet de chambre de Mme deMaintenon fit venir des filles pour distraire le tsar et ses compagnons. Une véritable profanation ! Retirée à Saint-Cyr depuis la mort du roi, Mme de Maintenon a-t-elle appris que ses anciens appartements étaient devenus le théâtre d’orgies pendant plusieurs nuits ? On ne sait, mais elle a frémi lorsqu’on l’a avertie que le souverain russe voulait la rencontrer. Elle eût préféré l’éviter. Lorsqu’il vint à Saint-Cyr, elle se coucha, fit tirer les rideaux de ses fenêtres et ceux de son lit. Cependant, à sept heures du soir, il entra dans sa chambre et, sans la moindre gêne, ouvrit les rideaux du lit, regarda attentivement la vieille dame et lui demanda si elle était malade. Comme elle lui répondait que oui, il lui demanda de quoi elle souffrait. « De la vieillesse », répondit-elle. Sur ces paroles, il referma les rideaux et repartit pour Trianon rejoindre les ribaudes choisies pour la nuit.
Enfin, SaMajesté impériale est partie le 20 juin emportant avec elle deux tentures des Gobelins offertes par le roi.
Cris et chuchotements
Le gouvernement duRégent est fortement contesté. Le Parlement est en guerre ouverte contre lui. Depuis plus d’un an, les magistrats multiplient les remontrances contre les Conseils qui retardent les affaires et coûtent beaucoup plus cher que les ministères. Ils refusent d’enregistrer les édits de finance et prétendent s’opposer aux nominations qui ne leur conviennent pas. C’est ainsiqu’ils n’ont pas enregistré celle du nouveau garde des Sceaux, M. d’Argenson.
À Paris, les curés, les prêtres du diocèse, les communautés religieuses continuent de contester la bulle Unigenitus condamnant les propositions du père Quesnel. Pour ces ecclésiastiques, le texte deQuesnel représente la pure doctrine de l’Écriture sainte et des Pères de l’Église. Aussi considèrent-ils la bulle comme irrecevable. Le 12 janvier 1717, la Sorbonne est allée en corps déclarer son soutien au cardinal deNoailles qui refuse la bulle. Peu de temps après, le 5 mars, quatre évêques (ceux de Montpellier, de Boulogne, de Mirepoix et de Senez) ont solennellement fait appel à un concile national. Le clergé de Paris et Mgr de Noailles soutiennent leur appel. Grave dilemme pour le Régent, qui a réagi très vite. Il a renvoyé les quatre évêques « appelants » dans leurs diocèses respectifs et interdit les assemblées à la faculté de théologie. Cependant, ces mesures sont loin d’avoir calmé les passions entre ceux qu’on appelle désormais les
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