Le temps des poisons
Lord Henry s'était éloigné. Il entretenait ses gens du banquet prévu pour le soir même, déclarant que, malgré les funérailles des villageois et le trépas de grand-mère Croul, le festin aurait lieu.
Kathryn regagna sa chambre pour achever son repas. Colum la rejoignit et lui annonça qu'il devait retourner aux écuries. Kathryn s'installa sur un tabouret. Elle mangea peu et but à petites gorgées le meilleur clairet qu'elle ait eu l'occasion de goûter depuis longtemps.
Dehors, la journée devenait triste et grise et le vent qui forcissait apportait le grondement étouffé de la mer contre les rochers. Kathryn se remémora ce qu'elle savait sur la mort de grand-mère Croul. Elle n'y trouvait aucun sens. Quant au prêcheur... Elle se rappela le rire du vicomte et eut envie d'aller lui demander des explications. Que faisait-il dehors si tard la nuit ?
Elle finit par se rendre compte qu'elle progressait fort peu, aussi ouvrit-elle le coffre pour en sortir les registres qu'elle avait découverts chez Elias et chez l'apothicaire. Elle les feuilleta avec attention. Celui du maréchal-ferrant était plutôt clair : produits achetés, chevaux ferrés, travaux de réparation, mais rien de suspect. Le jour de sa disparition, il avait eu beaucoup de travail, le cheval d'un client après l'autre, des fers à forger, une boîte de clous vendue à un chaudronnier de passage. Malgré ses recherches, Kathryn ne découvrit nulle mention d'un tonneau de vin parmi les achats faits au marché pendant les semaines précédant sa mort.
— Rien du tout, murmura-t-elle en refermant le recueil.
Le livre d'Adam était différent. L'écriture en était plus maîtrisée et plus nette mais, là encore, rien n'éveillait les soupçons. Il contenait une liste de chalands et des différentes herbes qu'ils avaient acquises : sénevé qui, écrasé et mélangé à du miel et à de la cire d'abeille, enlevait marques et taches, apaisait les contusions ou amollissait une croûte ; persil pour clarifier l'urine, safran pour désinfecter les blessures. Adam avait noté avec soin même les quelques poisons qu'il avait dispensés « pour exterminer les rats et la vermine ». Il y avait des poudres pour faire dormir, de la stellaire pour réduire les grosseurs de l'aine, de la centaurée noire pour soigner les maux de gorge ou étancher les saignements, du jus de fenouil qui, dissous dans le vin et introduit goutte à goutte dans les oreilles, calmait la douleur et diminuait les affres provoquées par une dent gâtée.
Kathryn étudia chaque entrée. Les poisons vendus n'avaient rien de suspect ; certains acheteurs lui étaient même inconnus. Adam, parfois, utilisait un code personnel. Kathryn était certaine qu'il s'agissait alors de philtres donnés à quelque jeune femme pour éviter une grossesse. Mais rien ne signalait un assassin, quelqu'un qui aurait accumulé des substances toxiques. Elle ferma le registre et le mit de côté.
—
Mais, bien sûr, le tueur ne peut qu'agir en cachette, se dit-elle à mi-voix.
Elle se dirigea vers la table de travail et s'y assit, la tête dans les mains. Elle revint en esprit à la chaumière. Pourquoi avait-il fallu supprimer grand-mère Croul ? A cause de ce qu'elle savait ! Que lui avait-elle narré la veille ? Rien, si ce n'est des ragots, selon Kathryn.
Des histoires sur les villageois, le destin des naufrageurs, le caractère de Lord Henry, rien d'extraordinaire.
Colum rentra des écuries et rappela à son épouse que l'heure du banquet approchait. Elle ouvrit son coffre de voyage et en sortit la robe qu'elle porterait : pourpre et or, taillée dans le plus beau damas, garnie d'un haut col blanc et de ruchés assortis. Dessous, elle enfilerait une chemise empesée, et elle chausserait des heuses de velours argent foncé. Elle ne mettrait pas de voile et irait tête nue.
Dans sa cassette à bijoux, elle choisit des épingles à cheveux, des boucles d'oreilles, un bracelet et l'anneau que lui avait offert Colum en gage d'amour. Elle eut à nouveau la certitude qu'on avait fouillé avec soin, bien que rien n'ait été dérobé. Mais elle ne voulait pas inquiéter son mari qui, sans nul doute, en aurait parlé à leur hôte. Elle déposa les joyaux sur le lit et alla au lavarium. Elle se déshabilla et fit de minutieuses ablutions. Quand elle en eut terminé, elle se retourna et rougit de confusion : Colum, assis dans une chaire, ne l'avait pas quittée des yeux.
— Nous sommes mari et
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