Le train de la mort
particuliers que la milice de Darnand lui a généreusement prodigués lors de son arrestation.
J’ai vu mourir Gaston Leroy. Isolé parmi un groupe de furieux, il essaie de s’échapper. Des mains l’agrippent, le retiennent, il hurle, il tombe.
Il y a déjà beaucoup de morts. Ils sont là, entassés sur le plancher et nous les piétinons.
Maintenant je peux apercevoir deux camarades dans le fond. Ils sont armés chacun d’une bouteille. L’un d’eux avant que je ne sois arrivé à lui, brandit son arme improvisée.
« Ne fais pas le c…» lui dis-je.
Il baisse le bras et me dit quelque chose que je ne comprends pas. Est-ce que mon physique a encore quelque chose d’humain pour qu’il m’épargne ?
C’est l’enfer ! Je réussis à me glisser jusqu’à l’ouverture pour respirer quelques bouffées d’air.
11 h 30-14 heures – Saint-Brice.
— J’étais cxxxii maraîcher et je travaillais avec ma mère, veuve depuis quelques années. Je m’appelle Raymond Viret et j’avais cette année-là vingt ans. Ma mère, M me Marthe Viret, était âgée de cinquante-trois ans. Ce jour-là étaient présents ma sœur, M me Denise Tisseur, âgée de vingt-six ans et mon beau-frère, M. Robert Tisseur qui avait vingt-sept ans. Il faisait une chaleur écrasante. Le train s’est arrêté juste derrière notre maison. De notre jardin, à travers la clôture en grillage, j’ai vu tous ces wagons immobiles d’où s’échappait un murmure. Des sentinelles allemandes, fusil en main, circulaient à côté. Je me suis approché, intrigué, et par les ouvertures des wagons, j’ai aperçu des visages blancs, inquiets. Les gens réclamaient à boire. Nous disposions d’une pompe à eau proche de la ligne de chemin de fer. J’ai saisi un récipient et je me suis dirigé, hésitant, vers le train. Les sentinelles m’ont d’abord pris l’eau pour boire puis m’ont dit d’aller en donner aux hommes des wagons. Ma famille est alors venue. Ma sœur nous a apporté quelques récipients et elle s’est mise à pomper sans arrêt. Ma mère nous passait l’eau et, pieds nus, nous allions vers les wagons, surveillant sans cesse les sentinelles qui étaient tout de même méfiantes.
— Les rails nous brûlaient les pieds tellement il faisait chaud. En approchant des lucarnes nous vîmes des regards apeurés, des yeux creux et brillants de fièvre. Tous ces hommes, entassés les uns sur les autres se précipitaient pour avoir un peu d’eau qu’ils buvaient avidement ou se versaient sur eux.
— Debout sur les tampons des wagons, nous avons pu voir quelques-uns d’entre eux allongés dans un coin, immobiles. Il y avait des mourants et des morts. Nous faisions très vite mais les quelques récipients étaient bien insuffisants pour tout le convoi. Nous n’avons pas pu parler beaucoup. Mais nous avons pu savoir que le train était parti de Compiègne, et les hommes ne savaient pas où ils allaient. Quelques-uns d’entre eux avaient une lettre et ils nous suppliaient de la prendre. Mon beau-frère réussit à en dissimuler cinq dont une qu’il tenait d’un prêtre. Par la suite il a pu les envoyer, mais il n’a pas pu garder les adresses ni indiquer la sienne.
— Pendant près de deux heures nous avons distribué de l’eau. Nous avons pompé tellement longtemps et abondamment que l’eau était devenue laiteuse et des impuretés émergeaient du puits. De plus, le niveau avait bien baissé car le sol crayeux ne retenait pas une nappe très abondante du fait de la sécheresse. Mon beau-frère qui a vu des morts à l’intérieur des wagons l’a dit à un Allemand qui s’est empressé de répondre, et dans un mauvais français : « Ne vous inquiétez pas, nous allons les descendre et les mettre dans le dernier wagon. » Que d’atrocités, quelle révélation, et nous étions impuissants. Et peu à peu des gens du village se sont approchés du convoi. Ils s’étaient munis de vivres qu’ils hésitaient à apporter aux déportés. Leurs craintes furent justifiées car, au moment où l’un d’eux voulut s’avancer une sentinelle braqua son fusil et lui ordonna de rester où il était. Puis ils se concertèrent rapidement et en moins de cinq minutes, le convoi repartait. Des hommes nous suppliaient encore pour avoir de l’eau. On entendait des plaintes ; des bras, des têtes apparaissaient derrière les barreaux des lucarnes. Les hommes étaient résignés et ils savaient que peu
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