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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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l’impunité, ou mieux, parce que les ordres étaient donnés, ou encore parce que cette extermination serait bien vue des chefs, ou seulement peut-être pour assouvir sa haine, profitait d’une circonstance inespérée et réalisait notre assassinat.
    L’instituteur alsacien cria un moment : « Schade, schade » qui veut dire : pitié, pitié, puis « à boire, au secours ». Il se détourna de l’imposte, le visage hagard. Il eut un hoquet de sang et s’écroula en râlant.
    Nous entendions maintenant hurler dans les autres wagons. Il y avait dans le nôtre des corps sans vie, en tas, et presque à tout moment, des forcenés, l’instant d’avant lucides, surgissaient, frappaient au hasard et entraînaient dans la mort de nouveaux groupes.
    Je pensais au radeau de la Méduse, à la fin des sous-marins et des mineurs ensevelis. Y ai-je pensé avant, pendant ou après ? Dans tous les cas je délirais. À demi inconscient, je sentis Pascal qui me serrait les poignets. Il était sur moi et m’interdisait de sauter.
    — Vous ne voyez pas qu’ils vont tirer sur nous, c’est de la folie. Ils vont vous tuer. Ne sautez pas !
    J’eus devant mes yeux ma femme, mon fils et tous les miens. C’était impossible, je ne pouvais pas mourir là ! Et comme ça ! Un mouvement de défense, un geste et nous roulions avec Pascal dans le même gouffre.
    Quelle force me fit lui parler doucement, le calmer, le coucher sur un sac en lui tenant la main ? Je crus qu’il s’endormait. Une écume rose lui sortait des lèvres. J’étais désormais seul avec tous ces déments.
    La mort était sur nous, dans les cris et les râles.
    Il n’y avait presque plus personne aux lucarnes. Le tombeau se fermait.
    Un mineur, un hercule que je connaissais depuis Compiègne, un père de trois enfants, tournait encore avec une bouteille cassée à la main. Je l’évitai de justesse. Il se rua sur un jeune homme. Mais il vacillait déjà. L’autre lui arracha la bouteille et le tua.
    *
    * *
    Raymond Decourcelle d’Amiens, dans son délire, supplie ses bourreaux de lui donner un peu d’air au nom de sa femme enceinte et de ses quatre enfants cxxxi .
    Au cours des premières heures de ce voyage notre camarade Léopold Rousselle a fait preuve d’une grande solidarité et d’un immense dévouement. Il entreprit désespérément d’aider et de soigner les plus malades. Il fut un de ceux qui se dépensèrent sans compter jusqu’à la limite des possibilités humaines. Après quelques heures de cet empressement auprès de nos infortunés compagnons, Rousselle succomba d’épuisement. Sentant ses forces l’abandonner il vint rejoindre le petit groupe de Picards que nous formions à l’arrière du wagon, et malgré nos efforts pour l’en dissuader, il essaya de s’accroupir. Nous n’avons pu rien faire pour le sauver, la syncope lui fut fatale.
    En voyant la tournure que prennent les événements, l’abbé Leblanc, curé de Framerville (Somme) se rend compte qu’il sera presque impossible de sortir vivant de cet enfer. Il réagit en prêtre. D’une voix forte, très forte même pour cet homme maladif – il souffrait de l’estomac – il clame :
    « Prions, mes frères, nous allons mourir ! »
    Malheureusement cet homme de bien, dont les derniers instants furent comparables à ceux des premiers chrétiens, causa bien malgré lui un choc terrible. Lui qui voulait que notre mort fût digne de sa croyance, assista avant de mourir à la plus effroyable des tragédies.
    À cet appel, la panique s’empare de quelques-uns. Ils crient, hurlent, pleurent, implorent. La folie qui couvait éclate, ils frappent et c’est alors la plus atroce des luttes, la plus inqualifiable des tueries.
    Il faut neutraliser ces fous dangereux.
    Je suis le témoin impuissant d’une scène abominable.
    Pour respecter la mémoire de ces pauvres morts, je ne peux nommer les acteurs de cette tragédie. C’étaient deux bons amis, fraternellement unis par la politique et la Résistance.
    L’un d’eux, le plus âgé, suffoque et s’écroule. L’autre alors, pris d’une subite folie meurtrière, met son pied sur la gorge du pauvre vieux et appuie. Les yeux hagards et comme se rendant compte de la gravité de son acte, il répète plusieurs fois :
    — « J’assassine !… J’assassine !… J’assassine !…» Il est à son tour abattu par un jeune gars de seize ou dix-sept ans, dont le corps dénudé porte encore la trace des soins

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