Le train de la mort
avoir sauté « l’entonnoir » de Saint-Brice, défile entre deux rangs de soldats, qui lui tournent le dos, et se coule dans l’entrelacement des rails de la gare en ballottant. Les quais, submergés par une marée d’uniformes – tout ce que Reims comporte de « Services officiels » doit être représenté – résonnent de cris, d’appels, d’ordres, de courses. Ce monde coloré, désordonné, se calme à peine en constatant la présence de la rame. L’escorte abandonne vigie et compartiments en plantant un piquet de garde symbolique de dix armes :
— Cantine ? Cantine ?
Au poste d’aiguillage n° 2, c’est le « facteur Mixte » cxxxvii Jean Rousset qui a remplacé aux « manettes » le « saboteur » Roger Ollinger. Jean Rousset, après avoir expédié le 7909 sur la voie centrale n° IX quitte sa « cage » et se dirige vers le fourgon de queue, immobilisé à une vingtaine de mètres. La plainte des wagons s’amplifie. Rousset porté par ce chant tragique, répond fermement à la sentinelle qui lui barre l’approche :
— C’est ce qu’on va voir ! Je veux parler à un officier.
Le soldat désigne Pavant du convoi. Rousset devant chaque lucarne lance :
— On va s’occuper de vous ! On va s’occuper de vous les gars !
Un officier ! C’est bien un officier, là, au milieu de ce groupe et il me regarde :
— Que voulez-vous ?
— Je voudrais donner de l’eau à ces…
— Qui vous en empêche ?
Au niveau de la machine du 7909, contre la prise d’eau des locomotives : Lucien Pélican et trois cheminots du Service exploitation.
— On y va ?
— Faut y aller.
— Ouvre l'eau.
Trois bouteilles. Deux seaux. La première sentinelle sourit. Trois aller et retour. Une seconde sentinelle court vers la prise d’eau, brise les bouteilles et du pied renverse les seaux.
Wagon Guérin-Canac.
Un jeune employé tend une bouteille. Elle est « aspirée » par la lucarne. Le déporté cheminot Marcel Guérin connaît parfaitement les services de la gare de Reims. Il se hisse aux barbelés :
— Vite ! Vite ! Allez chercher un visiteur au poste. Je suis cheminot comme vous.
Quelques minutes plus tard :
— Ça a pas l’air d’aller les gars ?
— Pas trop ! Vous pouvez nous sauver en allant chercher un tonneau pompe.
Le visiteur s’éloigne au pas de course.
— Il revient cxxxviii sans tarder avec cet engin qui sert à alimenter les réservoirs des wagons toilette. Il est constitué d’un réservoir monté sur un châssis avec roues porteuses et brancards. Un entonnoir pour le remplissage, une pompe Japy et un tuyau pour déverser l’eau dans les W.C. En très peu de temps notre tonneau fut à nouveau plein. Ce courageux cheminot fit de même pour notre wagon de droite.
Le docteur Bettinger remplace Marcel Guérin à la lucarne.
— Je suis le docteur Bettinger de Reims… Allez chercher une infirmière ; il y a aussi M. Berthet de Reims.
Un cheminot répond :
— Ne vous en faites pas docteur, j’y vais… Vous avez besoin de quoi ?
— De l’éther, du sucre, de la menthe… ce qu’elle pourra.
Cinq, six cheminots se groupent sous la fenêtre du wagon. Deux gardiens s’énervent :
— Partir ! Partir ! personne !
— Ce sont des gens de Reims. Des amis. Le docteur de ma famille.
— Ah bon ! Mais pas de bruit. Pas crier.
Accompagnée de l’officier S.D. responsable du convoi, M lle Fernande Pierre accourt :
— Docteur ? Docteur ? J’étais un peu plus loin. J’ai de l’éther, du sucre, un flacon de liqueur d’Hoffmann… Tenez.., C’est effroyable !
Un cheminot enlève sa casquette :
— Monsieur l’officier, ils manquent d’air. Faudrait ouvrir les portes.
L’infirmière ajoute :
— Il a raison. C’est de l’air qu’il leur faut. Ils meurent asphyxiés.
L’officier paraît exténué :
— Que tout le monde recule, sauf vous mademoiselle.
II appelle un gendarme. Aussitôt six hommes en armes se postent face à la porte. L’officier déplombe le loquet.
— Mademoiselle, si vous voulez avancer.
— Moi mademoiselle !
— Moi !
Mademoiselle Pierre n’a que ses mains.
L’officier fait ouvrir le wagon suivant :
— Par ici !
Elle court. Elle est seule. Encore un peu de sucre, de la menthe, des cachets d’aspirine.
Un déporté à la longue barbe blanche, saute sur le quai.
— Attendez ! crie l’officier.
— Artz ! Artz ! Médecin.
Déjà
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