Le tresor de l'indomptable
un marchand de Cantorbéry, nommé Sir Walter Castledene.
— Le maire actuel.
— Lui-même. Castledene avait, et a toujours, un ami intime dans la fraternité de la Hanse, Wilhelem von Paulents.
— Qui se rend en Angleterre avec sa famille.
— C’est exact. Ils seront les hôtes de Sir Walter et du roi, et seront logés au manoir de Maubisson, près de la ville, sur la route de Douvres.
Corbett lorgna le ciel.
— Paulents, en plus de son épouse, de son fils, de sa servante, est accompagné d’un garde du corps, un mercenaire nommé Servinus. Ils apportent quelque chose que Paulents a cru un jour avoir perdu : la Carte du Cloître, qui indique l’endroit où un grand trésor est enterré quelque part dans le Suffolk. Elle est codée. Il y a environ quatre ans, Paulents avait envoyé la carte à Castledene, mais Blackstock avait intercepté et coulé La Vierge de Lübeck et s’était emparé du document. Il voulait remettre le parchemin à son demi-frère, Hubert, un érudit intelligent et adroit qui aurait pu la décoder sans peine, et s’approprier le trésor. Blackstock naviguait vers l’Orwell pour rencontrer Hubert quand il fut lui-même piégé et tué. La carte originale n’a jamais été retrouvée et Hubert, maître ès déguisements capable d’en remontrer aux plus fins, a disparu.
— N’y a-t-il pas eu de survivants de L’Indomptable ?
Le cheval de Corbett broncha soudain quand un hibou traversa sans bruit le chemin, planant comme une âme perdue dans les ténèbres. Il apaisa sa monture en lui flattant l’encolure puis la retint pour qu’elle se calme. Derrière lui, Chanson jurait en s’efforçant de mater le poney de bât qui avait aussi pris peur.
— Personne, commenta Corbett qui rassembla les rênes, les yeux fixés sur les lointaines lumières de la ville qu’il avait hâte de rejoindre. Tout l’équipage a été pendu. L’Indomptable a été fouillé du haut du mât à la cale, mais sans qu’on trouve la moindre trace de la Carte du Cloître. Blackstock l’avait sans doute détruite. Quoi qu’il en soit, Paulents a poursuivi l’enquête et a fini par découvrir une copie de la chronique d’où la carte originale avait été extraite. Il l’apporte à présent en Angleterre, et lui et Castledene financeront les recherches.
— Et le roi ? Et nous ?
Corbett essuya la neige sur son visage.
— Nous agissons pour le roi dans cette affaire. Nous sommes son bras. Tu as, bien sûr, entendu Drokensford, Langton et d’autres officiers de l’Échiquier : les finances royales sont au plus bas. Édouard mène une campagne sanglante contre Wallace et le royaume d’Écosse.
— Et une très grosse part de tout trésor retrouvé appartient au roi, n’est-ce pas ?
— Tu dixisti, tu l’as dit ! railla Corbett.
Il pressa sa monture sur la route creusée d’ornières. La contrée commençait à s’animer : des maisons se dressaient de part et d’autre, barrières fermées, portes bien closes sur la nuit glaciale. L’odeur de la fumée de bois, du charbon et d’appétissants effluves de cuisine les incitaient à se hâter. Derrière le porche d’un cimetière, un chien aboya. L’obscurité gagnait. La lune apparut et les étoiles scintillèrent comme des points de lumière au-dessus de leur tête.
— En un mot, Ranulf, ajouta Corbett, nous sommes ici pour aider à déchiffrer la carte, bien que, à mon avis, ce soit déjà chose faite. Nous devons nous assurer que Castledene et Paulents respectent les droits du roi, nous devons protéger Paulents et nous occuper de...
— Lady Adelicia ?
— Adelicia Decontet, acquiesça Corbett. Qui sera bientôt traduite en justice devant Castledene et d’autres magistrats au Guildhall de la ville. Elle est accusée d’avoir assassiné son mari, Sir Rauf Decontet. Adelicia était auparavant pupille du roi. Si Édouard d’Angleterre a jamais éprouvé de l’affection pour quelqu’un, c’est bien pour Adelicia, « la Délicieuse ». Mais feu son époux était aussi un ami du souverain. Il lui a prêté de l’argent pour ses dernières guerres en Gascogne.
— Le roi interviendra donc dans cette affaire ?
Corbett se tourna sur sa selle afin de se protéger le visage de la rafale de neige.
— Non. Nous sommes ici pour constater que justice est faite. Si elle a bel et bien écrasé le crâne de son mari comme tu écraserais une noix, alors, Ranulf, elle ne sera pas pendue, mais brûlée
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