Le trésor
mystifié et il paie à présent fort cher sa crédulité et sa confiance dans une aventurière qui ne les méritait pas.
Émergeant enfin de son fauteuil et de son obscurité, Louis XVI se leva et, les mains nouées derrière son dos, se mit à marcher lentement de long en large à travers le petit cabinet. Son visage était plus sombre encore que tout à l’heure et Tournemine comprit que le seul nom du cardinal en était responsable et que, de ce côté, il allait avoir du mal.
Passant et repassant entre le prisonnier et la lumière, le roi finit par s’arrêter devant lui.
— Selon vous le cardinal n’est pas coupable ?
— Du vol ? Certainement pas. De folie momentanée, d’inconséquence et d’irréflexion peut-être mais…
— Et… pas davantage de lèse-majesté ?
— Lèse-majesté, sire ? Je ne vois pas…
Plus petit que Gilles, Louis dut lever la tête pour le regarder au fond des yeux mais dans ceux de son souverain, le jeune homme lut une lourde tristesse.
— Quand un homme ose prétendre à l’amour d’une reine, il y a lèse-majesté et plus encore envers l’époux de cette reine. Oserez-vous me jurer que le cardinal ne s’est pas permis de lever les yeux jusqu’à sa souveraine et d’en attendre… – une brusque bouffée de fureur enflamma soudain le visage lourd du roi, allumant une étincelle dans son regard en général assez terne… – je ne sais quelles complaisances indignes d’une femme honnête !
Le cœur du chevalier manqua un battement. La question était dangereuse, non pour lui-même qui avait fait délibérément le sacrifice de sa vie, mais pour cet homme couronné qu’il découvrait meurtri et douloureux comme n’importe quel mari dont on suspecte la fidélité de la femme. Or, par ce que lui avait révélé Cagliostro, Gilles savait que Rohan se croyait, grâce aux fausses lettres écrites par Mme de La Motte et son âme damnée Reteau de Villette, et grâce à l’infâme comédie jouée au bosquet de Vénus, sinon devenu l’amant de la reine tout au moins bien près de le devenir. Le roi avait raison : le crime de lèse-majesté était flagrant mais il n’était pas possible de l’admettre sans détruire définitivement le repos et la confiance de Louis. Pas plus qu’il n’était possible de lui dire que l’ennemi de son bonheur ce n’était pas Rohan mais Fersen, le beau Suédois dont Marie-Antoinette était si follement éprise…
La colère du roi était déjà retombée. Se méprenant sur le silence que gardait le jeune homme, il eut, des épaules et des mains, un geste traduisant une impuissance et une résignation navrantes chez un monarque.
— Vous voyez bien…
— Non, sire, je ne crois pas que le cardinal se soit rendu coupable d’un tel crime. Le respect…
— Le respect ? coupa Louis s’emportant de nouveau. Allons donc ! Je sais, moi, que ce misérable ose aimer la reine…, et que vous en avez eu la preuve entre vos mains, cette preuve détournée qui fait de vous un coupable.
Cette fois Gilles comprit qu’il lui fallait aller le plus loin possible dans le domaine de la franchise et qu’il avait peut-être entre les mains, pour un instant, l’honneur de sa reine.
— C’est vrai, dit-il doucement, le cardinal aime Sa Majesté la reine mais, sire, je ne crois pas qu’il soit le seul en France. La reine est jeune, très belle. Elle est peut-être la femme la plus séduisante de ce siècle et nul n’est maître des mouvements de son cœur. Quant à ce que Son Éminence m’a confié, parce que sa sensibilité souffrait à l’idée de voir ces menus objets tomber entre des mains viles ou simplement étrangères, c’était bien peu de choses…
— Peu de choses ? Des lettres m’a-t-on dit, des bijoux…
— « Des » lettres ? Des bijoux ! Que le roi est donc mal informé ! Ce que le cardinal m’a remis c’était un petit sachet de soie rouge brodé à ses armes qu’il portait au bout d’une chaîne. Ce sachet contenait seulement deux choses : un petit billet à l’écriture passée, au papier fané, écrit en allemand d’une grosse écriture maladroite d’écolière et un médaillon renfermant un portrait.
— De qui ? De la reine, bien sûr ? gronda Louis XVI.
— Non, sire. De Madame la Dauphine à peu près au moment, j’imagine, où le cardinal de Rohan l’a accueillie à Strasbourg lorsqu’elle est entrée en France pour épouser Votre Majesté qui n’était encore
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