Le trésor
Talhouet ! Il ne restait que quelques livres de piété, une Imitation de Jésus Christ reliée en toile, un bréviaire usé.
— Qu’avez-vous fait de vos chers livres ? demanda-t-il sachant parfaitement à l’avance quelle serait la réponse.
Elle vint, en effet, avec un bon sourire.
— Je n’avais plus envie de lire. Mes yeux se fatiguent vite, tu sais. Et puis…
— Et puis les pauvres ont toujours faim, n’est-ce pas ?
L’abbé se mit à rire d’un rire franc, joyeux et plein de jeunesse.
— Bien sûr ! Mais à présent, grâce à toi, je vais pouvoir en rassasier quelques-uns… et aussi racheter deux malheureux garçons d’ici qui sont tombés aux mains des Barbaresques. Un père trinitaire est venu l’autre semaine m’annoncer la nouvelle, me donner le chiffre de la rançon aussi. Et je ne savais que faire…
— Dites-moi le chiffre de cette rançon. Je vous le ferai porter de surcroît et si vous connaissez d’autres garçons d’ici tombés par malheur aux mains de ces Infidèles et susceptibles d’être sauvés, faites-le-moi savoir. J’habite l’hostellerie de l’Épée royale, à Lorient… Et, pendant que j’y pense, demandez à votre trinitaire s’il aurait des nouvelles d’un certain Jean-Pierre Querelle, de Vannes 1 . Nous étions camarades au collège Saint-Yves et j’ai quelques craintes que son mauvais sort ne l’ait mené à Tunis ou en Alger…
— Écris-moi ce nom ! Mais, dis-moi, tu es donc bien réellement devenu une sorte de Crésus ? Il était donc si mirifique, ce trésor ?
— Plus que je n’aurais osé l’espérer, mon parrain. Je suis très riche à présent.
— Loué soit Dieu car tu sauras te servir de ta fortune. Mais raconte-moi ta trouvaille. Comment as-tu pu réussir là où tant d’autres ont échoué…
Gilles n’eut pas le temps de répondre. La porte de la chambre venait de s’ouvrir sous la main de Katell, la vieille bonne de l’abbé, drapée dans son tablier des dimanches et toute rouge de joie.
— Monsieur le recteur est servi ! clama-t-elle d’un ton triomphant.
Surpris, l’abbé renifla les fumets de viande rôtie et de pâtisserie chaude que Katell transportait avec elle et qui l’avaient suivie dans l’escalier.
— Seigneur ! fit-il. Qu’est cela ? Faisons-nous bombance aujourd’hui ?
— Nous fêtons la résurrection du petit, riposta Katell, et comme il vous connaît bien, monsieur le recteur, qu’il sait bien que, chez vous, la marmite une fois cuite s’en va le plus souvent sur la table d’un autre, il a pris la précaution de faire son marché avant de venir. Ce soir, vous aurez du poulet rôti, du fromage frais, des galettes, de la tarte aux pommes et du vin de Bourgogne !
M. de Talhouet leva les bras au ciel.
— C’est Versailles ! Eh bien allons, ma bonne Katell, allons ! Tu me conteras aussi bien ton aventure en mangeant, mon garçon, et ces bonnes odeurs réveillent, je l’avoue, ma gourmandise. Grâce à toi, je vais commettre un gros péché mais Dieu, je l’espère, ne m’en tiendra pas rigueur…
Tandis qu’ils descendaient tous deux le vieil escalier de pierre menant à la cuisine, Gilles posa la question qui le tourmentait depuis son arrivée :
— Je voudrais que vous me disiez, monsieur… Ma mère a-t-elle appris ma pseudo-mort ?
— Naturellement. Je n’avais pas le droit de la lui cacher et je me suis rendu tout exprès à Locmaria pour la lui apprendre.
— Et… qu’a-t-elle dit ?
— Rien d’abord. Nous étions dans le jardin du couvent et elle a continué de marcher auprès de moi au long des allées sans prononcer une parole. Mais je savais qu’elle priait car, entre ses doigts, les grains de son chapelet bougeaient doucement. J’ai respecté sa prière et nous avons ainsi fait le tour de l’enclos dans le plus grand silence. C’est seulement quand nous sommes arrivés à la porte du cloître qu’elle s’est tournée vers moi.
« — S’il avait suivi la voie que je lui avais choisie, il vivrait encore ! » m’a-t-elle dit avec colère. Mais elle n’a pu empêcher que je ne remarque l’humidité de ses yeux. Je lui ai dit alors qu’elle pouvait te pleurer sans honte et prier pour toi, que tu n’étais plus un bâtard mais un gentilhomme… Alors elle a crié :
« Il ne l’était plus, peut-être, mais cela ne change rien pour moi ! Je suis toujours celle qui a péché, celle qui, sans être mariée, a donné le jour
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