Le trésor
à un enfant ! Je suis, moi, toujours la mère d’un bâtard ! Quant à ce malheureux enfant, il a voulu son sort ! Je ne peux plus que prier pour lui mais que personne, jamais ne revienne ici m’en parler !… » Et elle est partie… Néanmoins, dès demain j’irai lui dire…
— Rien ! coupa Gilles. Ne lui dites rien ! Je crois qu’il vaut mieux laisser les choses en l’état. Au moins, elle priera pour moi ce qu’elle ne ferait pas si elle me savait vivant… À présent, allons souper…
En dépit de ce que Gilles venait d’entendre, le repas fut gai, tout occupé du récit, un peu édulcoré tout de même, des aventures qui avaient occupé ces dernières années. L’abbé se réjouit des chances qui avaient protégé son filleul, s’assombrit à l’évocation de l’étrange atmosphère familiale qui régnait dans la famille royale, laissa entendre qu’il craignait, depuis longtemps, que ne vinssent des jours plus sombres encore, s’indigna du relâchement inquiétant des mœurs et, finalement, demanda :
— Que comptes-tu faire à présent ? Tu ne peux guère reprendre ta place aux gardes. Penses-tu pouvoir racheter La Hunaudaye ?
— Il y a plusieurs mois que j’ai perdu cet espoir. Dès que j’ai été en possession du trésor, je suis reparti pour Paris afin d’en réaliser une partie puis je suis allé à Rennes pour y rencontrer votre cousin de Talhouet. Il a paru surpris de me revoir et plus surpris encore quand je lui ai offert, pour racheter le château une somme plus importante que ce qu’il demandait voici trois ans. Mais il a refusé.
— Pourquoi donc ? Il n’en fait rien.
— Peut-être mais, d’après ce que j’ai pu entendre, un jour dans un cabaret des bords de la Seine, je crois qu’il a justement l’intention d’en faire quelque chose. Quoi ? Je n’en sais rien ; toujours est-il qu’il a refusé sans me laisser la plus petite ombre d’espoir.
— Oh ! c’est tout simple, sourit l’abbé en achevant, avec délices, la tasse de café que Katell venait de lui servir, Talhouet espère arriver à mettre la main sur le fameux trésor. Et comme tu ne pouvais tout de même pas lui dire que tu l’avais trouvé, je crois qu’il te faut renoncer à reprendre la vieille maison.
— C’est ce que je fais. Momentanément tout au moins. Je suis jeune, beaucoup plus jeune que lui et, si Dieu veut bien me prêter vie, la suite des temps me permettra peut-être de l’acquérir enfin. Pour l’instant, je compte m’établir de l’autre côté de l’Atlantique.
— Toujours ton vieux rêve ?
— Mais oui. D’autant que le gouvernement américain a bien voulu m’offrir une concession de mille acres de bonne terre sur les rives de la rivière Roanoke. Je vais donc me faire planteur de tabac ou d’autre chose, armateur peut-être aussi. J’ai acheté à la Compagnie des Indes un bâtiment de 280 tonneaux, le Lonray pris aux Anglais. C’est une sorte de flûte mais mieux voilée et plus finement taillée pour la course. Je le fais remettre en état car il avait subi une avarie assez sérieuse sur les rochers de Groix et armer de seize canons. Avec cela, je dois pouvoir traverser l’Atlantique en quatre ou cinq semaines par bon vent. Naturellement, il ne s’appelle déjà plus le Lonray .
— Gageons qu’il s’appelle le « Gerfaut » ?
— Gagez vous gagnerez. Et déjà j’en suis très fier, ainsi d’ailleurs que des installations que j’y fais faire car, bien sûr, j’emmène la famille Gauthier avec moi. Ils me l’ont demandé car ils ne veulent plus demeurer aux alentours de La Hunaudaye. Pour emmener des femmes, un navire doit adoucir un peu ses cabines. En outre… je voudrais emmener Rozenn.
— Rozenn ? À son âge, tu veux lui faire traverser l’Océan, l’emmener vivre chez les sauvages ?
— Pourquoi pas ? Elle est solide. Où est-elle ? Toujours chez Mme la vicomtesse de Langle ?
— Toujours chez ma sœur, en effet où…
— Où elle se ronge les sangs parce qu’on y a pas tellement besoin d’elle, malgré toute la bonté de Mme la vicomtesse qui s’essaie à ne pas le lui montrer, coupa Katell que le nom de sa sœur avait tiré du coin de cheminée où elle sommeillait, sa vaisselle faite : « Marchez, mon garçon, ajouta-t-elle, si vous allez lui demander de vous suivre, elle dira oui tout de suite et même si vous lui proposiez d’aller au bout du monde ou en enfer ! »
— Katell !
Weitere Kostenlose Bücher