Le tribunal de l'ombre
pots recouverts d ’ une large couche de graisse de canard, pour les premiers j ours du voyage, jambons fumés et outres d ’ eau, lingerie propre, b rigantines molletonnées, chemises de laine, heuses chaudement rembourrées, pelisses de renard et d ’ ours, armes, armures et bien d ’ autres baguages pour la suite de nos pérégrinations.
Mettant à profit le calme qui régnait dans la baronnie, l ’ absence de chevauchées ennemies et l ’ approche de l ’ hiver, le baron ! B ozon de Beynac, à qui appartenaient Montfort, Carsac et leurs écuyers, avait donné son accord, considérant qu ’ il serait d ’ un grand intérêt militaire de découvrir les techniques de combat des Teutoniques. Il avait même bourse déliée pour financer ce lointain pèlerinage.
À la condition formelle toutefois, que nous soyons de retour dans le mois qui suivrait la fête de la présentation de l ’ Enfant Jésus au Temple et des relevailles de la Vierge Marie. C ’ est-à-dire début avril au plus tard, puisqu ’ une ancienne légende voulait que l’ours sorte de son hibernation, au deuxième jour du mois de mars, après les calendes de février.
En Aquitaine, l’ours s’était métamorphosé pour nous en Tête de bûche. Le bruit courrait qu’il vendangerait derechef notre duché et d’autres comtés rebelles. Autrement dit, il ne tarderait pas à y mener ses brides, pillant et brûlant les cités qui lui résisteraient.
De la comté du Pierregord, nous remonterions vers le nord-est, vers Bourges et le cœur du royaume en passant par Châteauroux. Nous avions cependant une alternative.
Soit chevaucher vers le nord, pour atteindre la comté de Champagne et les grandes cités de Troyes et de Provins, puis franchir le col de Guebwiller. Soit obliquer très vite vers l’est en direction du duché de Bourgogne, traverser les cités de Dijon, puis de Besançon et poursuivre notre route plus au nord-est en direction des terres du Saint-Empire romain germanique, vers Colmar, en passant par la place forte de Belfort pour éviter de franchir le massif montagneux des Vosges par le col de Guebwiller.
Cette dernière route eut la préférence de tous dès qu’ils apprirent qu’il y avait, entre les villes de Colmar et de Strasbourg, des vignobles aussi réputés pour l’excellent vin blanc qui y était cultivé que les cépages de Saint-Emilion autrefois plantés dans le Bordelais par les viticulteurs romains. Nous arriverions juste après les vendanges et le vin ne serait point aigre, s’enthousiasma-t-on. Aussi joyeux qu’un blanc de Gascogne et plus doux qu’un vin du bordelais servi à la cuiller de miel.
J’eus beau grabeler que notre Voyage n’avait point pour objectif de déguster le vin des différents cépages qui jalonnaient notre route, du Sancerrois à l’Alsace en passant par la Champagne, je dus m’incliner devant la forte majorité qui se dégagea sur le choix de ce parcours, tellement plus sûr et moins accidenté que l’autre, surenchérit-on…
Or donc, de Colmar nous longerions les coteaux, ferions une halte dans la forteresse de Kœnigsbourg, enclave des ducs de Lorraine en Basse-Alsace dans les terres du Saint Empire, avant de traverser le Rhin à Strasbourg pour poursuivre notre chevauchée vers les cités de Nuremberg, de Prague, puis de Thorn en Prusse orientale, tout en évitant le grand duché de Lituanie.
Quelques lieues encore et nous serions arrivés devant les portes de la formidable forteresse de Malbork, siège de l’Ordre teutonique, point de ralliement de tous les chevaliers étrangers qui participaient à ce grand Pèlerinage de la foi, venant des quatre coins de la chrétienté, Allemands, Italiens, Français, Polonais…
Ces itinéraires, conçus d’après des tracés imprécis et les recommandations avisées du chevalier von Forstner, risquaient d’être modifiés pour contourner, si cela s’avérait nécessaire, des régions en guerre ou qui nous seraient hostiles. Raison pour laquelle nous étions invités à chevaucher sans bannière et sans armoiries sur nos cottes d’armes, simplement revêtus de la cape des pèlerins, la sportelle à la croix de sable brodée sur nos mantels et sur nos couvre-chefs.
Les villes que nous traverserions nous ouvriraient leurs portes sur simple présentation du sauf alant et venant qui portait, sur une magnifique pièce en cuir de Hongrie (le Teuton me l’avait précisé), le seing et le sceau du Hochmeister, Winrich von
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