Le Troisième Reich, T1
homme — M. François-Poncet n'exagérait pas — que Hindenburg, sur
le conseil de Schleicher, avait confié le sort de la République agonisante.
Papen n'avait pas le moindre passé politique. Il n'était même
pas membre du Reichstag. Sa carrière politique ne l'avait pas mené plus loin
qu'à un siège au Landtag de Prusse. Lorsqu'il fut nommé chancelier, son propre
Parti du Centre, indigné de la trahison de Papen envers son chef Brüning, vota
à l'unanimité son expulsion du parti. Mais le président lui avait dit de constituer
un gouvernement au-dessus des partis, et il y parvint aussitôt, car Schleicher
avait déjà une liste de ministres toute prête. C'était ce que l'on devait
appeler « Le Cabinet des Barons ».
Cinq membres de ce cabinet étaient des nobles, deux étaient des
directeurs de grosses sociétés et l'un, Franz Guertner, nommé ministre de la
Justice, avait été le protecteur d'Hitler dans le gouvernement bavarois lors
des journées agitées qui avaient précédé et suivi le putsch de la Brasserie.
Hindenburg alla chercher le général von Schleicher, qui préférait pourtant être
en coulisse, et le nomma ministre de la Défense. Le « Cabinet des Barons » fut
accueilli dans presque tout le pays comme une plaisanterie, et pourtant un
certain nombre de ses membres, le baron von Neurath, le baron von
Eltz-Rubenach, le comte Schwerin von Krosigk et le docteur Guertner, étaient
doués d'une telle vigueur qu'ils demeurèrent à leur poste longtemps après
l'avènement du Troisième Reich.
Le premier geste de Papen fut d'honorer la promesse faite à
Hitler par Schleicher. Le 4 juin, il décréta la dissolution du Reichstag, fixa
au 31 juillet la date des nouvelles élections et, sur l'insistance des nazis
méfiants, il leva le 15 juin l'interdiction qui frappait les S.A. Cette
décision fut aussitôt suivie d'une vague de violence et de meurtres politiques
comme l'Allemagne n'en avait jamais vu. Les troupes d'assaut envahirent les
rues, cherchant la bagarre et trouvant souvent à qui parler, surtout chez les
communistes. Rien qu'en Prusse, entre le 1er et le 20 juin, il y eut 461
échauffourées dans les rues, qui firent 82 victimes et quelque 400 blessés
graves. En juillet, 38 nazis et 30 communistes figuraient parmi les 86
personnes tuées dans des émeutes. Le dimanche 10 juillet, 18 personnes furent
abattues dans les rues et, le dimanche suivant, quand les nazis, escortés par
la police, défilèrent dans Altona, un faubourg ouvrier de Hambourg, 19
personnes furent abattues et 285 blessées. La guerre civile que le « Cabinet
des Barons » devait faire cesser ne faisait qu'empirer. Tous les partis, à
l'exception des nazis et des communistes, exigèrent du gouvernement des mesures
énergiques pour rétablir l'ordre.
Papen réagit en prenant deux décisions. Il interdit toute
manifestation politique pour la quinzaine précédant les élections du 31
juillet. Et il prit une mesure destinée non seulement à apaiser les nazis, mais
à anéantir un des derniers soutiens qui existaient encore de la République
démocratique. Le 20 juillet, il destitua le gouvernement prussien et se nomma
lui-même commissaire du Reich pour la Prusse. C'était une décision audacieuse
qui le rapprochait du genre de gouvernement autoritaire qu'il voulait imposer à
toute l'Allemagne. Papen prit pour prétexte que les émeutes d'Altona avaient
montré l'incapacité où se trouvait le gouvernement prussien de maintenir la loi
et l'ordre. Il accusa également, sur des « preuves » hâtivement produites par
Schleicher, les autorités prussiennes d'être de mèche avec les communistes.
Lorsque les ministres socialistes refusèrent d'être destitués autrement que par
la force, Papen se fit un plaisir de céder à leur vœu.
La loi martiale fut proclamée à Berlin et le général von
Rundstedt, le commandant local de la Reichswehr, envoya un lieutenant et douze
hommes procéder aux arrestations nécessaires. Ce fut une opération dont
l'intérêt n'échappa pas aux hommes de la Droite qui venaient de s'emparer du
pouvoir fédéral, et pas davantage à l'attention d'Hitler. Il n'y avait plus à
s'inquiéter désormais de voir les forces de la gauche ou même du centre
démocratique opposer une sérieuse résistance à une tentative du renversement du
système démocratique. En 1920, une grève générale avait sauvé la République. On
discutait maintenant de l'opportunité d'une telle mesure chez les
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