Le Troisième Reich, T1
Et plus tard le même jour : « ... un coup de
téléphone d'une dame très connue qui est une amie intime du général Schleicher. Elle dit que le général veut donner sa démission
(4). »
Gœbbels était intéressé mais sceptique. « Peut-être,
ajouta-t-il, n'est-ce qu'une manœuvre. » Ni lui, ni Hitler, ni personne
d'autre, certainement pas Brüning et certainement pas non
plus Grœner à qui Schleicher devait son ascension rapide
dans l'armée et dans les conseils du gouvernement, n'avaient encore deviné
jusqu'où pouvait aller la fourberie de l'intrigant général. Mais ils ne
devaient pas tarder à l'apprendre.
Avant même que fût promulgué décret interdisant les S.A., Schleicher, qui s'était gagné le peu intelligent commandant de
la Reichswehr, le général von Hammerstein, informa
confidentiellement les commandants des sept districts militaires que l'armée
était opposée à cette décision. Il persuada ensuite Hindenburg d'écrire le 16
avril une lettre à Grœner demandant pourquoi la Reichsbanner, l'organisation
paramilitaire des sociaux-démocrates, n'avait pas été supprimée en même temps
que les S.A. Schleicher prit encore une mesure pour saper
davantage la position de son chef. Il se fit l'instigateur d'une campagne de
diffamation contre le général Grœner, faisant répandre le bruit que celui-ci
était trop malade pour demeurer en place, qu'il s'était converti au marxisme et
même au pacifisme, et proclamant que le ministre de la Défense avait déshonoré
l'armée en ayant un enfant cinq mois après son récent mariage; le bébé,
raconta-t-il à Hindenburg, avait été surnommé « Nurmi », dans les milieux de
l'armée, en souvenir du coureur finnois de renommée olympique.
Cependant, Schleicher renouvelait ses
contacts avec les S.A. Il avait des entretiens avec Rœhm, le chef des S.A., et
le comte Helldorff, commandant les S.A. de Berlin. Le 26
avril, Goebbels notait que Schleicher avait
annoncé à Helldorff qu'il « voulait changer de direction
». Deux jours plus tard, Schleicher rencontra Hitler, et
Gœbbels nota que « l'entrevue s'était bien passée ».
Même à ce stade, il est évident que, sur un point en tout cas,
Rœhm et Schleicher conspiraient derrière le dos d'Hitler.
Les deux hommes voulaient l'incorporation des S.A. dans l'armée sous forme de
milice, mesure à laquelle le Führer était catégoriquement
hostile. C'était un sujet à propos duquel Hitler s'était souvent querellé avec
son chef d'état-major S.A., qui considérait les troupes d'assaut comme une
force militaire capable éventuellement de rendre le pays plus fort, alors
qu'Hitler les considérait comme une force purement politique, une bande
susceptible de faire régner la terreur dans les rues contre ses adversaires
politiques et de maintenir l'enthousiasme dans les rangs nazis. Mais, dans ses
conversations avec les dirigeants nazis, Schleicher avait
en vue un autre objectif. Il voulait faire intégrer les S.A. à l'armée, où il
pourrait les contrôler; mais il voulait également qu'Hitler, le seul
nationaliste conservateur nanti de disciples assez nombreux, eût place au gouvernement
où il pourrait le contrôler. Le Verbot des S.A. le gênait
sur ces deux plans.
A la fin de la première semaine de mai 1932, les intrigues de Schleicher arrivèrent à l'un de leurs tournants décisifs.
Gœbbels note, le 4 mai, que « les mines d'Hitler commencent à partir. D'abord
Grœner, puis Brüning doivent s'en aller. » Le 8 mai,
Gœbbels signalait dans son journal qu'Hitler avait eu « une conférence décisive
avec le général Schleicher et avec certaines personnes de
l'entourage immédiat du président. Tout se passe bien. Brüning va
tomber dans quelques jours. Le président va lui retirer sa confiance ». Il
expose ensuite le plan que Schleicher et la camarilla du président avaient mis
au point avec Hitler : dissolution du Reichstag, formation d'un cabinet présidentiel
et suppression de tous les interdits frappant les S.A. et le Parti nazi. Pour
éviter d'éveiller les soupçons de Brüning, ajoute Gœbbels, Hitler va quitter
Berlin. Dans la soirée, il emmène son chef dans le Mecklembourg, où il va
virtuellement se cacher.
Pour les nazis, le cabinet présidentiel est considéré, note
Gœbbels le lendemain, comme un simple « intérim ». Un gouvernement de
transition « aussi incolore, dit-il, va nous ouvrir la voie. Plus il est
faible, plus facilement nous nous en débarrasserons ».
Weitere Kostenlose Bücher