Le Troisième Reich, T1
Schleicher : La Chancellerie pour lui; pour son parti, les postes de
premier ministre de Prusse, le ministère de l'Intérieur du Reich et de Prusse,
le ministère de la Justice, de l'Économie et de l'Aviation du Reich, et un
nouveau ministère pour Gœbbels, celui de la Culture populaire et de la
Propagande. Pour appâter Schleicher, Hitler lui promit le ministère de la
Défense. En outre, Hitler déclara qu'il demanderait au Reichstag de l'autoriser
à gouverner par décret pendant une période déterminée; si cette autorisation
lui était refusée, le Reichstag serait « renvoyé dans ses foyers ».
Hitler revint de cette entrevue persuadé qu'il avait conquis
Schleicher à son programme et repartit de fort bonne humeur vers sa retraite
montagneuse de l'Obersalzberg, dans l'Allemagne du Sud. Gœbbels, toujours
cynique quand il s'agissait de l'opposition et se méfiant toujours du général
politicien, n'était pas si sûr. « Il convient d'être assez sceptique en ce qui
concerne les développements ultérieurs », nota-t-il dans son journal à la date
du 6 août, après avoir écouté le rapport optimiste du chef à propos de sa
rencontre avec Schleicher. Gœbbels, pourtant, était sûr d'une chose : « Une
fois que nous aurons le pouvoir, nous ne l'abandonnerons jamais. Il leur faudra
faire sortir nos cadavres des ministères. »
Tout n'allait pas aussi bien qu'Hitler semblait le croire. Le 8
août, Gœbbels écrivait : « Coup de téléphone de Berlin. Mille rumeurs
circulent. Le parti est prêt à prendre le pouvoir. Les hommes des S.A. quittent
leurs lieux de travail pour se tenir prêts. Les chefs du parti se préparent
pour le grand moment. Si tout se passe bien, parfait. Si les choses tournent
mal, ce sera un coup terrible. » Le lendemain, Strasser, Frick et Funk
arrivèrent à l'Obersalzberg porteurs de nouvelles qui n'étaient pas précisément
encourageantes. Schleicher, une fois de plus, retournait sa veste. Il exigeait
maintenant qu'Hitler, s'il était nommé chancelier, gouvernât avec l'accord du
Reichstag. Funk signalait que ses relations d'affaires voyaient avec inquiétude
la perspective d'un gouvernement nazi. Il avait reçu un message de Schacht le
confirmant. Enfin, la Wilhelmstrasse, annonça le trio à Hitler, s'inquiétait
d'un putsch nazi.
Cette inquiétude n'était pas sans fondement. Le lendemain, 10
août, Gœbbels apprit à Berlin que les S.A. étaient « sur le pied de guerre...
les S.A. déploient autour de Berlin un cordon plus fort que jamais... la
Wilhelmstrasse est très nerveuse. Mais c'est le but de notre mobilisation ». Le
lendemain, le Führer ne put attendre davantage. Il partit en voiture pour
Berlin. Il ne se montrerait pas trop là-bas, dit Gœbbels, mais, d'un autre
côté, il serait prêt quand on l'appellerait. Comme l'appel ne venait pas, il
demanda lui-même à voir le président. Mais il lui fallait d'abord voir
Schleicher et Papen. Cette entrevue eut lieu à midi le 13 août. Entrevue
orageuse. Schleicher avait changé de position depuis la semaine dernière. Il
soutenait Papen, en affirmant que le plus qu'Hitler pouvait espérer, c'était la
Vice-Chancellerie. Hitler était furieux. Il devait être chancelier ou rien du
tout. Papen mit un terme à l'entretien en déclarant qu'il laisserait à
Hindenburg le soin de prendre « la décision finale [52] ».
Hitler se retira précipitamment au Kaiserhof voisin.
Ce fut là qu'à trois heures de l'après-midi parvint un coup de téléphone du
bureau du président. Quelqu'un — sans doute Gœbbels, si l'on en juge par son
journal — demanda : « Une décision a-t-elle été prise? Dans ce cas, Hitler n'a
pas besoin de se déranger. » Le président, déclara-t-on aux nazis, « souhaite
d'abord parler à Hitler ».
Le vieux Maréchal reçut le chef nazi debout, appuyé sur sa canne
dans son cabinet, donnant ainsi le ton à cette rencontre exempte de toute
cordialité. Pour un homme de quatre-vingt-cinq ans, qui, seulement dix mois
plus tôt, avait perdu pendant plus d'une semaine l'usage de ses facultés
mentales, Hindenburg était d'une surprenante lucidité. Il écouta patiemment
Hitler exiger une fois de plus la Chancellerie et les pleins pouvoirs. Otto von
Meissner, chef de la Chancellerie présidentielle, et Gœring, qui avait
accompagné Hitler, étaient les seuls témoins de la conversation, et bien que
Meissner ne soit pas une source d'informations absolument sûre, sa déclaration
au Procès de
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