Le Voleur de vent
européens
qui adressaient des signes obscènes à l’équipage du bâtiment royal.
— Je n’entends point mourir pour les
vaisseaux des marchands et pas même pour le roi de France ! lança un marin
aux cheveux d’un blond filasse.
Aussitôt, trois hommes se groupèrent autour du
mutin.
Le comte de Nissac les balaya d’un rapide
regard puis, sans daigner leur répondre, il sourit à demi à un capitaine d’infanterie
casqué d’acier, le baron Jean-Sébastien de Sousseyrac.
Le capitaine Sousseyrac était un homme haut d’une
toise, le visage barré de cinq cicatrices. Sousseyrac, monté le premier avec
Nissac sur une galère barbaresque, avait un jour tué onze adversaires, en
précipitant huit autres à la mer et plongeant pour noyer le dernier qui l’avait
blessé par-derrière. On disait que la mort elle-même hésitait à le venir
prendre, craignant complications. C’est lui qui menait l’infanterie d’assaut.
Nissac lui parla d’une voix que n’altérait pas
la moindre émotion :
— Qu’on les attache céans aux mâts. Ainsi,
ils verront de près cette bataille devant laquelle ils reculent avec couardise
qui ne fait point honneur à notre équipage.
Ainsi fut-il fait
mais Nissac n’y prêta nulle attention. Le menton au creux d’une paume, il
réfléchissait calmement, comme si les barbaresques, dont les bâtiments fondaient
vers le galion, n’existaient point alors qu’on entendait monter la clameur des
cris des assaillants.
— Ah çà, notre amiral est-il demi-fou qui
rêve et ne donne point d’ordres quand les pirates arrivent ? demanda un
jeune marin à mi-voix.
Un homme d’équipage plus âgé, et qui avait
déjà maintes fois navigué avec Nissac, lui répondit d’un ton sec :
— Ne t’inquiète pas de cela. Suis les
ordres, fais comme moi en toutes choses et peut-être survivras-tu !… Si
Dieu le veut !…
La voix du comte de Nissac, ordinairement
posée, devint brusquement métallique. Les ordres claquaient. Les hommes
couraient en tous sens, chacun sachant ce qu’il avait à faire.
Bientôt, à la grande surprise des barbaresques
qui croyaient Le Dragon Vert paralysé par la peur, le galion vira de
bord.
La manœuvre, d’une étonnante audace, stupéfia
les pirates qui perdirent un temps précieux à ne point réagir et ne le firent
que tardivement quand déjà, il n’était plus grand-chose à tenter.
Jouant avec grande maîtrise des courants et de
sa voilure, le vice-amiral de Nissac prit ce qu’en les mers on nomme « l’avantage
du vent », position des plus favorables qui lui permettait d’attaquer du
côté exposé au vent. Déjà, ayant ouvert les sabords, les soixante-six
canonniers du pont principal et ceux du pont supérieur avaient bourré les
canons par la bouche et n’attendaient plus que l’ordre d’attaquer, les
maîtres-canonniers le regard rivé sur les navires ennemis, les seconds tenant d’une
main qui ne tremblait pas leurs boutefeux de bois sculpté.
Nissac avait longuement entraîné ses hommes, et
certains l’avaient détesté qu’il fût si entêté en cette attitude, ne tenant
point compte de la fatigue qui vient à répéter si souvente fois semblables
choses. Mais à l’instant, peu comprirent que la grande précision de chacun de
leurs gestes, qui venait de l’habitude acquise, leur donnait avantage en toutes
choses sur les équipages barbaresques.
La première salve retentit, qui ne visait que
la caraque plus rapide que la galère. Avec une diabolique précision, les boulets
des canons de bronze firent leur ouvrage là où l’avait commandé Nissac : mâts
abattus, ponts et entreponts où se massaient les pirates balayés par les
boulets. Bien que la galère approchât au plus près, Nissac assura cette
première salve par une seconde, qui acheva la besogne : la caraque, dématée,
et ses ponts jonchés de cadavres, n’était plus en mesure de poursuivre le
galion.
Sans perdre un instant, Nissac ordonna une
manœuvre de défilement et se présenta face à la galère. Les deux navires
évoquaient des taureaux furieux se ruant l’un vers l’autre pour s’embrocher. Avec
son canon de proue, la galère ouvrit le feu, tuant un archer et deux
mousquetaires. Aussitôt, comme effaré, Le Dragon Vert déroba mais, exposant
son flanc, il fit feu de toutes ses pièces. L’affaire était risquée, et peu
élevé l’espoir d’atteindre la faible surface offerte par un navire se
présentant de face. Pourtant,
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