Lebensborn - la fabrique des enfants parfaits: Ces Français qui sont nés dans une maternité SS

être modifiés involontairement, à cause d’informations tronquées ou d’erreurs de retranscription commises par les personnels des Nations Unies chargés de venir en aide aux enfants déplacés durant la guerre. Ensuite, il y a ceux dont les prénoms furent francisés, ceux qui furent adoptés et qui reçurent le nom de leur nouvelle famille, celles qui se marièrent et changèrent de nom de famille ou tout simplement les personnes qui quittèrent l’Europe. Au fil de mes recherches, j’ai recensé 46 noms d’enfants nés dans les deux maternités de Lamorlaye et Wégimont. Cette liste est incomplète : j’ai acquis la certitude que 60 à 70 naissances y ont eu lieu. Vingt-trois au maximum à Lamorlaye, selon un rapport français de 1948 que j’ai consulté aux archives du ministère des Affaires étrangères ; entre 40 et 50 en Belgique, d’après plusieurs documents belges, allemands et américains recoupés. Mais les registres d’accouchement des nurseries SS, comme tant d’autres documents originaux, ont disparu. Parmi les 46 personnes identifiées, j’ai recherché celles qui vivaient en France, sans connaître leur nombre exact. Pour trois d’entre elles, l’enquête s’est achevée sur un acte de décès. Plusieurs autres, retrouvées, ont préféré ne pas revenir sur leur passé. Beaucoup d’autres encore n’ont pu être localisées.
    Et puis, il y a bien sûr les hommes et les femmes dont l’histoire peut être reconstituée. Ce livre relate une quête vertigineuse. Celle de leurs origines. La traversée d’une zone de conflit intime. Il fallait donc arpenter ce territoire inconnu, criblé de trous de mémoire, lacéré de lignes de failles. Alors, peut-être, pourrais-je approcher de ce qu’ils avaient ressenti. C’est en chemin que je saisirais ce que je cherchais.
    1 - Du moins celles qui subsistent, car l’essentiel fut détruit à la hâte par ses gardiens durant les tout premiers jours de mai 1945, tandis que le Troisième Reich agonisait.
     
    2 - Marc Hiller, Au nom de la race , Fayard, 1975.
     
    3 - Fabrice Virgili, Naître ennemi : les enfants de couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale , Payot, 2009.
     
    4 - À titre d’exemple, un Standartenführer (colonel) âgé de 30 ans verse 3,25 % de sa solde, puis 4,75 % à partir de l’âge de 34 ans et 5,75 % au-delà de 41 ans. Seuls les officiers qui ont déjà quatre enfants, selon les recommandations officielles, sont exemptés.
     
     

 
    I
    Des maternités SS en Europe
    Le manoir de Bois-Larris se niche au bout d’une petite route qui serpente entre les futaies de hêtres. Un panneau avertit : « Danger chevaux » . En bordure de la forêt de Chantilly, sur les hauteurs de la paisible commune de Lamorlaye, les alentours sont sillonnés de sentiers équestres où s’ébrouent les pur-sang. Lamorlaye est l’un des principaux centres d’entraînement hippique de France. La première fois que je m’y suis rendu, un mardi matin, Bois-Larris paraissait quasiment désert. L’endroit abrite pourtant, depuis les années 1950, un centre de réadaptation pour enfants souffrant de paralysie et de troubles orthopédiques. Une centaine de jeunes patients y reçoivent des soins quotidiens. Bien que flanqué d’un bâtiment moderne, le manoir, ses dépendances et les écuries ont gardé leur aspect d’origine. C’est une belle demeure d’une vingtaine de pièces, de style anglo-normand, avec pignons à colombage et bow-window ouvrant sur le jardin. L’ensemble a été bâti entre 1912 et 1919 pour la famille Menier, celle des fameux chocolats.
    Dès le début de l’occupation, en 1940, les lieux sont réquisitionnés par l’armée allemande. Plusieurs bataillons d’une division de cavalerie SS prennent leurs quartiers dans les environs. Chantilly et Lamorlaye deviennent la plus grande clinique vétérinaire pour chevaux d’Europe 1 .
    À l’origine, aucun enfant « aryen » n’aurait dû naître au manoir de Lamorlaye, ni au château de Wégimont, près de Liège, à 380 kilomètres de là. En 1940, sur le territoire du Reich, huit maternités et crèches du Lebensborn sont déjà en service, sur le modèle de la « maison-mère » de Steinhöring, et cinq autres pouponnières SS ouvrent en Allemagne et en Autriche, pendant la guerre. Mais, entre-temps, les SS vont exporter leurs « Fontaines de vie » dans l’Europe occupée. Tout d’abord en Norvège, le