L’élixir du diable
tout à coup que quelque chose lui permettait de voir ces fils de pute tels qu’ils étaient en réalité. Des démons, des agents de Satan, des soldats de l’Antéchrist. Il avait toujours su qu’ils étaient le mal incarné, mais il ne les avait jamais vus sous leur forme réelle. Il devait survivre, pour le raconter à tout le monde. Les gens devaient savoir. Mais il devait d’abord régler le problème de la douleur atroce qui lui déchirait l’estomac.
Il atteignit l’entrée du CVS. Un autre rebelle sortit du magasin et tenta de l’attraper. Torres lui balança son coude dans la figure, puis un violent coup de pied dans le tibia. Le démon s’écroula. Torres s’accroupit près de sa victime qui gémissait, lui arracha son arme et fit un tour sur lui-même, un pistolet dans chaque main : l’un pointé sur le rebelle au sol, l’autre sur le type au faux uniforme, qui se trouvait maintenant à vingt mètres de l’entrée du magasin. Il vit que d’autres ennemis étaient apparus, une véritable horde de bêtes grognant et griffant qui venaient dans sa direction.
Il était étourdi, sa vue refusait d’accommoder. Il se mit à hurler au gars qu’il venait de maîtriser :
— Ferme les portes ! Immédiatement !
S’il s’enfermait à l’intérieur, au moins ne pourraient-ils pas se saisir de lui. Et il trouverait peut-être les antidouleur dont il avait si désespérément besoin.
Le vigile du magasin se releva et se dirigea en toute hâte vers les portes principales – deux grands panneaux de verre aux poignées chromées – qu’il ferma et verrouilla.
— Où est la pharmacie ? cria Torres.
L’homme fit un geste vers le fond du magasin.
— Donne-moi les clés !
Le vigile les lui tendit.
— Et ta radio !
L’homme obéit.
Torres fourra les clés dans sa poche et jeta la radio qu’il écrasa à coups de botte. Il regarda autour de lui. Plusieurs clients – ou s’agissait-il de combattants ennemis à double visage ? – faisaient mine de reculer, les mains levées, pleurant ou gémissant. L’espace d’un instant, il se demanda ce qu’il foutait là. N’était-il pas censé quitter la ville ? Fuir les flics ? Comment avait-il fini par s’enfermer dans un centre commercial ? Ça n’avait guère d’importance. Au moins, il était en vie. Oui. Les fils de pute n’étaient pas parvenus à l’avoir. Pas comme le reste de l’unité, qui avait été réduit en purée par ce bougnoule. Il ne restait plus que lui. Et il n’allait pas se laisser baiser.
Il lui fallait un plan.
Première étape : s’occuper de la douleur.
Deuxième étape : parler à l’officier le plus gradé, et passer un accord.
Il savait quelque chose qu’ils seraient contents d’entendre. Peut-être était-il le seul à savoir.
Couvrant le magasin de ses deux armes, il se dirigea lentement vers la pharmacie.
52
J’étais presque descendu de voiture avant que Villaverde ne finisse de la garer. Une bonne dizaine de véhicules de patrouille noir et blanc étaient dispersés sur le parking, plus un camion du SWAT 1 et deux véhicules d’intervention d’urgence. Deux agents en uniforme avaient déjà déployé le ruban d’interdiction de passer à une cinquantaine de mètres de l’entrée de la galerie commerciale. De l’autre côté du parking se trouvaient quatre camions des chaînes de télé locales. Un cinquième était en train de se garer, alors que je courais vers le camion de commandement, Villaverde sur mes talons.
J’agitai mon laissez-passer et grimpai dans le camion. L’officier commandant l’équipe nous attendait. Il se présenta : capitaine Jack Lupo. Il fit de même pour le sergent Alan Schibl, officier en charge du SWAT, un nommé Tim Edwards, spécialiste civil des négociations avec les preneurs d’otages, et Belinda Zacharia, une femme élégante du bureau du shérif – ce qui était logique, considérant que Torres avait été témoin du meurtre de leur adjoint. Il y avait également deux ou trois types en uniforme, et un technicien des communications.
Lupo nous mit au parfum. A leur connaissance, il y avait dix-neuf otages dans le CVS – sept membres du personnel et douze clients –, mais ils n’étaient évidemment pas à cent pour cent certains du nombre des clients. Aucun otage n’avait été blessé. Pour le moment. Torres semblait agir seul. Le témoin qui avait filmé la vidéo avec son téléphone avait déclaré que Torres se comportait bizarrement,
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