L’élixir du diable
devraient attendre.
— Aucune idée, répondis-je simplement.
Je pris le dessin de la main de Tess et le posai sur la table basse. Puis je me retournai et acculai Tess contre le dossier du canapé, l’embrassai avidement. Me souvenant tout à coup de l’endroit où nous étions, je m’écartai d’elle, me levai et lui tendis la main.
— Si nous passions dans mon bureau pour en discuter ?
En suivant Reilly dans la chambre, Tess ne pouvait s’empêcher de continuer à penser au dessin.
Reilly avait peut-être raison, elle imaginait des choses.
Le problème, c’était que l’agaçant petit démon de la curiosité tapi dans les recoins obscurs de son esprit s’agitait et réclamait à grands cris son attention.
Le démon bondissait encore en elle quand, après qu’elle eut fermé la porte derrière elle, Reilly se retourna et la plaqua contre lui. Le démon cessa totalement de l’importuner pendant l’heure qui suivit mais après, alors qu’elle s’endormait dans les bras de Reilly, il surgit de nouveau au premier plan de ses pensées, déchaîné et réclamant une audience.
28
Plus haut sur la côte, un démon d’une espèce très différente traversait un paysage tout à fait autre.
Navarro était de retour à la villa en bord de mer de Del Mar, assis en tailleur sur une terrasse en teck derrière la remise de la piscine. La mer était à un jet de pierre, droit devant, et la lune basse semblait peser sur lui tandis qu’il demeurait immobile, silencieux et serein. Du moins, vu de l’extérieur.
A l’intérieur, en revanche…
Cela faisait plus d’une heure qu’il s’enfonçait dans des tunnels de feu et des abysses de ténèbres sans fond, qu’il tombait et s’élevait, tournoyait dans des kaléidoscopes de couleurs, des visions surnaturelles de son passé et de son avenir.
C’était une expérience qu’il avait déjà faite, bien sûr.
De nombreuses fois.
Chez ceux qui n’y étaient pas habitués ou qui ne savaient pas le contrôler, l’épais breuvage marron qu’il avait ingéré pouvait avoir des effets désastreux, à la fois immédiats – ils vomissaient, se pissaient dessus et, convaincus qu’ils étaient de mourir, hurlaient, imploraient qu’on les délivre d’une terreur qui semblait sans fin – et à plus long terme. Mais pas chez Navarro. Il savait ce qu’il faisait et quand il s’écarta finalement du bord et se retrouva dans une lumière blanche, aveuglante, il se sentit incroyablement lucide. Sa respiration se ralentit, apaisée par la paix intérieure qui s’épanouissait au plus profond de son être, et il ouvrit les yeux.
Magnifique .
Il inspira une longue bouffée d’air marin et la retint un moment dans ses poumons, savourant une hypersensibilité à tout ce qui l’entourait. Les vagues clapotant contre la côte, les criquets dans l’herbe – il entendait même les crabes trottinant sur le sable. Grâce à l’œil de son esprit, il voyait avec une clarté grisante des choses qui lui avaient échappé jusque-là ou qu’il n’avait pas vraiment remarquées.
La drogue avait opéré ainsi qu’il s’y attendait. Car il avait été formé par les meilleurs maîtres depuis qu’avait commencé, à l’aube de son adolescence, sa fascination pour ce que les ethnopharmacologues appelaient « le remède de l’esprit sacré ».
Comme tous les enfants, Raoul Navarro avait cru à la magie dans son jeune âge. La différence, c’était qu’il n’avait jamais cessé d’y croire.
Il avait grandi à Real de Catorce, un village aux rues en pente bordées de maisons coloniales espagnoles délabrées, perché au flanc d’une montagne sur l’un des plus hauts plateaux du Mexique. Construit un siècle plus tôt pendant la ruée vers l’argent puis abandonné, Real présentait l’avantage d’être la porte du désert de Wirikuta, là où les Indiens Huichol cueillaient le peyotl sacré. C’était un lieu où un gosse démuni comme Navarro pouvait gagner quelques dollars en dénichant les petits boutons de peyotl cachés sous les buissons de mesquite et en les vendant à des primeros , touristes en quête d’un trip réputé. Il ne se contentait cependant pas de les vendre. Il était curieux de connaître les effets du peyotl et il n’eut pas à attendre très longtemps pour les découvrir. Peu après le treizième anniversaire de Raoul, un chaman huichol lui banda les yeux, le conduisit dans le désert et fit de lui un primero .
Cette
Weitere Kostenlose Bücher