L’élixir du diable
l’ont pas encore trouvé. Et tant qu’ils seront en liberté, tous ceux qui sont liés au club de près ou de loin seront en danger. Vous plus que n’importe qui d’autre, Karen.
Je m’interrompis pour la laisser assimiler l’avertissement. Soyons clairs, je n’essayais pas de lui mettre la pression. Je pensais sincèrement qu’elle était en danger. Je n’aurais pu certifier pour autant que cela me causait réellement du souci, étant donné ce que la bande de son mari avait fait à Michelle et aux autres. Au fond de moi, mon attitude envers elle n’était peut-être pas aussi ambivalente que je le pensais. Elle ne m’inspirait pas une aversion viscérale et cependant, même si j’ignorais ce qu’elle savait au juste des activités de son mari, je présumais qu’elle était en partie au courant. Mais je savais par expérience que les conjoints de criminels violents sont souvent aussi des victimes, à leur façon.
— Nous avons besoin de savoir pour qui les Aigles travaillaient et ce qu’ils faisaient, conclus-je.
Son regard passa de nouveau d’un visage à l’autre, comme si elle était tiraillée dans des directions opposées. Le seul fait d’être dans ce bâtiment la mettait mal à l’aise, je le savais. J’avais vu son casier, elle avait fait de la prison. Ce n’était pas une fan des forces de l’ordre. Elle tira de son sac un paquet de Winston, en prit une, se mit à la tapoter contre la table. Elle portait de grosses bagues en argent à ses doigts soigneusement manucurés. Je remarquai aussi qu’elle avait aux poignets des tatouages qui disparaissaient sous ses manches.
— Vous voulez qu’on coince ceux qui ont fait ça à votre mari, n’est-ce pas, Karen ?
— Bien sûr, rétorqua-t-elle.
— Alors, aidez-nous.
Le tapotement s’accéléra puis elle poussa un long soupir, détourna son regard avant de le ramener sur moi.
— Je veux l’immunité, déclara-t-elle.
— L’immunité ? Contre quoi ?
— Pas de poursuites. Ecoutez, je connais la musique. Supposons que je sache quelque chose et que je vous le dise, je deviens complice. Au mieux. Je veux vraiment que vous chopiez les pourris, les malades qui ont fait ça à Wook, mais je suis pas chaude pour retourner en cabane.
Elle se tut, me regarda, passa aux autres et revint à moi. Elle tentait de prendre une attitude d’indifférence et de défi mais j’avais suffisamment vu de gens dans sa situation pour savoir que, derrière cette façade de nana de motard à la redresse, elle était terrifiée. Ce qu’elle demandait n’en était pas moins logique, de son point de vue. Malgré ma rogne contre son mari et sa bande, je ne pouvais pas être sûr qu’elle était au courant de tout, ni que nous parviendrions à la faire condamner. L’important, c’était qu’elle pouvait nous aider à trouver qui était derrière tout ça, et mettre fin à cette spirale morbide. Arrêter celui qui avait lancé la bande sur Michelle valait bien de passer un marché qui éviterait à Karen de retourner en prison.
Je coulai un regard à Villaverde. Connaissant le casier de Karen, nous avions anticipé sa demande. Nous avions aussi estimé que nous ne pouvions pas nous permettre de la refuser.
— D’accord, lui dis-je.
Elle parut surprise, comme si elle ne savait pas comment prendre ma réponse.
— Quoi ? Comme ça ? Vous avez pas autorité pour décider. Vous devez pas d’abord avoir l’accord du procureur ?
— C’est fait. Nous en avons discuté avec les services du procureur du comté de San Diego. Ils sont partants. Le comté de L.A. ne posera pas de problème non plus.
Du menton, j’indiquai Munro, qui confirma d’un petit hochement de tête.
— On est en train de taper le papier en ce moment même, repris-je. Ce n’est pas vous qu’on veut, Karen. Vous avez ma parole d’agent fédéral que rien de ce que vous direz ici ne sera utilisé contre vous. Mais si on veut serrer ces types, il faut agir, et vite. Ils sont peut-être en train de se faire la belle. Si vous savez quoi que ce soit sur eux, c’est le moment de parler.
Je vis les muscles de sa mâchoire se contracter.
— Faut combien de temps pour que le papier arrive ici ?
— Pas très longtemps, répondis-je. Mais trop peut-être pour choper ces types.
Elle eut un autre soupir, plissa les yeux, se renversa en arrière et regarda par la fenêtre, puis se tourna de nouveau vers nous. Elle hocha plusieurs fois la tête, comme pour se convaincre
Weitere Kostenlose Bücher