L'empereur des rois
ne répond pas. Il voudrait tant que cette guerre qu’il sent gronder aux portes s’éloigne comme un orage avorté. Mais il sait depuis des mois, depuis Erfurt, qu’elle éclatera, puisque Alexandre I er a refusé de dire les mots, de signer les phrases qui eussent retenu l’Autriche sur le chemin de l’affrontement avec la France.
Trahison .
Il chasse dans la forêt de Rambouillet, la rage au coeur. Trahison du tsar, mais n’est-elle pas naturelle ? Alexandre joue sa carte puisque la plaie d’Espagne reste ouverte et la France affaiblie. Trahison de Talleyrand, des royalistes du faubourg Saint-Germain.
Il donne deux violents coups d’éperon. Son cheval bondit. Le cerf zigzague, affolé, dans le sous-bois humide. La meute est à ses trousses. L’animal fauve est puissant, mais sa course s’alourdit. Il va droit vers l’étang de Saint-Hubert. Napoléon contourne l’étang, met pied à terre. On lui tend un fusil. L’animal sort de l’eau, le poitrail clair, large.
Je dois donner la mort .
Il ferme les yeux. Le cerf est couché sur la berge, l’eau de l’étang rougit. La meute hurle.
Il se détourne, rentre au pas par les allées déjà sombres. Dans l’un des salons du château, il aperçoit Andréossy, l’ambassadeur de France en Autriche, qui a couru depuis Vienne pour rejoindre la France. Il porte sur lui toute la fatigue de ce voyage, le visage et les vêtements froissés.
Napoléon jette sa cravache et son chapeau, fait fermer les portes du salon.
D’un signe, il demande à Andréossy de parler.
Il écoute seulement le début des phrases. Il suffit d’un mot pour comprendre.
L’archiduc Charles rassemble ses troupes. Une milice bourgeoise remplace l’armée régulière à Vienne. L’archiduc s’apprête à lancer un manifeste aux peuples allemands pour les appeler à se soulever contre l’Empereur. Des négociateurs anglais sont à Vienne afin de préparer un traité d’alliance entre l’Angleterre et l’Autriche. Londres fournira les crédits nécessaires à la guerre.
Napoléon ne commente pas.
La guerre roule vers moi de plus en plus vite, comme une masse énorme .
Au Tyrol, les Autrichiens poussent les populations à se soulever contre la Bavière. Les paysans sont fanatisés par le capucin Haspinger. On cite le nom d’un chef de guerre populaire, Andreas Hofer. Vienne procure les armes.
Il renvoie Andréossy.
Combien de jours encore avant de quitter la France pour retrouver les bivouacs, les pluies, la boue, voir les soldats morts ? Et entendre crier les blessés ?
Il rentre aux Tuileries. Il le faut. Mais l’atmosphère du palais lui pèse. Les galeries, les salons, les cercles de la cour sont silencieux comme si l’on veillait un agonisant.
Moi, qu’on porte déjà en terre .
Il lit un rapport secret que lui envoie Joseph Fiévée, l’un de ces observateurs à gages dont il dispose dans tous les milieux. Celui-ci était royaliste, mais depuis des années il espionne, analyse, écoute pour l’Empereur. L’homme est pénétrant d’intelligence, ses oreilles traînent partout.
« La France est malade d’inquiétude », écrit-il. On se répète dans les salons du faubourg Saint-Germain la phrase d’un dignitaire qu’on ne nomme pas. Peut-être s’agit-il de Decrès, le ministre de la Marine, à moins que ce ne soit Talleyrand. Il a confié : « L’Empereur est fou, absolument fou, il se perdra et nous perdra, nous avec lui. »
Napoléon jette le rapport de Fiévée dans la cheminée.
Fou ? On ose prononcer de tels mots parce qu’on imagine que je ne pourrai pas relever le défi, qu’on me voit étranglé. L’Autriche est en armes. L’Espagne, insurgée. Les Anglais sont au Portugal. L’Allemagne frémit. La Russie me guette. Et ici, en France, on complote, on me trahit .
Il retourne vers la table. Il reconnaît l’écriture de cette supplique. M. René de Chateaubriand demande une nouvelle fois la grâce de son cousin, Armand de Chateaubriand, pris sur une plage du Cotentin les poches bourrées de lettres d’émigrés réfugiés à Londres ou à Jersey et destinées aux royalistes de Bretagne.
Armand de Chateaubriand n’est qu’un courrier royaliste au service de l’Angleterre et des Bourbons. La mort .
Et M. René de Chateaubriand, pour me fléchir, m’envoie son dernier livre , Les Martyrs. Qu’ai-je à faire de cela ? Sait-il ce qu’est la guerre ?
« La mort de son cousin donnera à M. de
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