L'empereur des rois
arrivé de Paris.
Il a un geste de mépris en parcourant la lettre servile de Talleyrand. « Il y a treize jours que Votre Majesté est absente, écrit le prince de Bénévent, et elle a ajouté six victoires à la merveilleuse histoire de ses précédentes campagnes. »
Je suis vainqueur. Je ne suis pas mort. Les courtisans s’agenouillent .
« Votre gloire, Sire, fait notre orgueil, mais votre vie fait notre existence », dit encore Talleyrand.
Il s’exclame, parlant seul, se souciant peu de savoir si les maréchaux l’entendent :
— Je l’ai couvert d’honneurs, de richesses, de diamants, il a employé tout cela contre moi. Il m’a trahi autant qu’il le pouvait, à la première occasion qu’il ait eue de le faire…
Il jette la lettre de Talleyrand.
Joséphine lui écrit aussi, s’inquiétant de sa blessure. Sur un coin de table, il lui répond :
« La balle qui m’a touché ne m’a pas blessé ; elle a à peine rasé le tendon d’Achille. Ma santé est fort bonne. Tu as tort de t’inquiéter. Mes affaires ici vont fort bien.
« Tout à toi.
« Napoléon
« Dis bien des choses à Hortense et au duc de Berg. »
Mais il doit s’arracher à ces mots de tendresse, à ces images de paix. Il doit faire son métier.
Il s’approche du balcon qui longe la galerie. Il veut savoir quelles troupes autrichiennes campent de l’autre côté du fleuve. Celles du général Hiller ou celles de l’archiduc Charles ? Il faut qu’un officier profite de la nuit pour aller s’emparer d’un Autrichien qu’on interrogera. Lannes a pensé au capitaine Marbot, son aide de camp.
— Remarquez bien que ce n’est pas un ordre que je vous donne, dit Napoléon à Marbot. C’est un désir que j’exprime ; je reconnais que l’entreprise est on ne peut plus périlleuse, mais vous pouvez la refuser sans crainte de me déplaire. Allez donc réfléchir quelques instants dans la pièce voisine, et revenez nous dire franchement votre décision.
Marbot acceptera, il le sait. Ces hommes-là ne sont pas des courtisans mais des soldats, comme lui.
C’est mon génie que de savoir commander à ces hommes .
Il tire sur l’oreille de Marbot, qui s’en va vers le fleuve sans hésiter.
Il s’agit bien des troupes du général Hiller. On peut donc marcher sur Vienne.
Il arrive à Saint-Pölten. Il fait beau, les soldats l’acclament. Il a pu enfin dormir quelques heures.
« Mon amie, je t’écris de Saint-Pölten, note-t-il pour Joséphine. Demain, je serai devant Vienne, ce sera juste un mois après le même jour où les Autrichiens ont passé l’Inn et violé la paix.
« Ma santé est bonne ; le temps est superbe et le soldat fort gai : il y a ici du vin.
« Porte-toi bien.
« Tout à toi.
« Napoléon »
Le mercredi 10 mai 1809, il marche à nouveau dans les jardins du château royal de Schönbrunn.
Tout son corps se détend. Il retrouve les salons, les dorures. Il rêve quelques instants. Il se souvient de son premier séjour ici, c’était le 13 novembre 1805, l’avant-Austerlitz.
Faudra-t-il comme Sisyphe qu’il recommence toujours à pousser le boulet de la guerre jusqu’au sommet pour qu’ensuite le boulet roule à nouveau et qu’il doive retrouver les mêmes lieux, Donauwerth, Schönbrunn ? Quoi, demain ? Varsovie ? Eylau ?
Il se sent fatigué, nerveux.
Il apprend que les Autrichiens ont blessé les plénipotentiaires qui demandaient la reddition de Vienne. Il donne l’ordre qu’on la bombarde jusqu’à ce qu’elle capitule.
À chaque fois il l’éprouve, l’ascension vers le sommet est plus difficile.
Vienne se bat. En Prusse, un officier de hussards, le major Schill, avec quelques centaines d’hommes, massacre les soldats français. Au Tyrol, l’insurrection dure. En Espagne, au Portugal, on ne l’emporte pas, au contraire.
Il monte à cheval, il galope, et tout à coup il sent que la monture s’affaisse, tombe sur le flanc.
Il fait si noir…
Il ouvre les yeux. On est en train de le porter. Il se dégage, regarde autour de lui. Il voit les visages effrayés de Lannes, des aides de camp, des chasseurs de la Garde. Il s’est donc évanoui. Il rabroue Lannes qui lui conseille de ne pas remonter à cheval. Il faut oublier cet incident. Les hommes croient trop aux présages.
Il rassemble dans la cour du château de Schönbrunn tous les témoins, maréchaux, officiers, soldats. Qu’ils forment un cercle autour de lui. Il passe devant
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