L'Empire des Plantagenet
par Geoffroi d’Anjou, sénéchal et porte-gonfanon de Charlemagne, et les siens.
La palme du panthéon dynastique revient toutefois à Arthur. Depuis le haut Moyen Âge, les bardes celtes chantent la geste de ce roitelet, qui écrase en 516 au mont Badon les envahisseurs saxons de l’île, avant de devenir, après sa mort mystérieuse, un demi-dieu. Au début du XII e siècle, Geoffroi de Monmouth romance la légende en latin dans son Histoire des rois de Bretagne, sans doute l’œuvre la plus populaire du Moyen Âge. Des traductions anglo-normande, due à Wace, et anglo-saxonne, produite par Layamon, diffusent largement le livre de Monmouth, tout comme d’autres poèmes et romans qui développent ses thèmes. La plupart de leurs auteurs sont en contact, à un titre ou à un autre, avec la cour angevine, et se complaisent à comparer les membres de la famille royale avec Arthur. En effet, toutes les conquêtes de ce roi mythique, dont les ennemis invétérés sont les Français, recouvrent les domaines des Plantagenêt. Richard Cœur de Lion est pour beaucoup dans l’édification de ce nouveau culte familial : il encourage la découverte du tombeau d’Arthur et Guenièvre à Glastonbury, donne l’épée Excalibur au roi de Sicile et choisit son neveu du nom d’Arthur pour son successeur. De même, le glaive de son frère Jean sans Terre est Courtaine, avec laquelle Tristan a terrassé le géant Morholt. En somme, avec les chevaliers de la Table ronde, Arthur devient l’ancêtre le plus cher aux Plantagenêt, à une époque où une identité spécifiquement anglaise soude les différentes aristocraties insulaires. Dans l’imaginaire politique, cet Arthur anglicisé tient désormais tête au Charlemagne francisé des Capétiens.
Toute cette propagande doit aider le roi d’Angleterre dans l’exercice de son pouvoir. Contrôler l’Empire Plantagenêt est en effet une gageure, tant son étendue est immense et diverses les principautés qui le composent. Pour y parvenir, l’Angevin a adopté un genre de vie itinérant, parcourant sans arrêt ses terres afin de marquer son autorité par une présence physique. Dans l’une de ses lettres, Pierre de Blois brosse un portrait d’Henri II en centaure, dont les jambes déformées par de longues chevauchées ne quittent guère la monture. Quand ce roi veut faire un cadeau de prix à Frédéric Barberousse ou à Guillaume II de Sicile, c’est tout naturellement une superbe tente en soie, sa demeure par excellence, qu’il offre. Il ne fête presque jamais Noël au même endroit et a traversé la mer une trentaine de fois au cours de son règne. Son fils Richard Cœur de Lion adopte un genre de vie identique, et il part même pour la Terre sainte au cours de la troisième croisade dont il est l’animateur et le plus en vue des combattants. Le refus de cette itinérance frénétique par Jean sans Terre, reclus dans ses palais et pavillons de chasse de la Tamise pour éviter les bains de foule qu’il déteste autant que son père les aimait, est pour beaucoup dans la perte des possessions continentales.
Ces longs déplacements mènent Henri II et Richard Cœur de Lion jusqu’aux lieux les plus reculés de leur Empire. Pourtant, ces rois ne se rendent pas avec la même fréquence dans chacune de leurs principautés. C’est en Angleterre et Normandie qu’ils restent le plus longtemps. Le royaume et le duché fournissent l’essentiel des hommes et des ressources indispensables pour gouverner les autres territoires, pour mener la guerre contre les Capétiens ou pour conquérir l’Irlande. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la fermeté avec laquelle la Normandie et l’Angleterre sont elles-mêmes gouvernées explique la passivité face à la conquête capétienne de 1204 et la Grande Charte de 1215, double riposte à une emprise royale jugée trop contraignante. En comparaison du noyau anglo-normand, les autres principautés semblent bien sous-administrées. Du moins les moyens de la couronne y sont-ils fort limités face aux révoltes à répétition des aristocraties locales : on a pu calculer qu’elles se succèdent tous les trois ans et demi dans le sud du Poitou. Elles sont parfois extrêmement violentes, comme le prouve le meurtre de Patrick de Salisbury, représentant du roi dans la région, acte commandité par une famille du cru, les Lusignan, en 1168, ou l’opposition que Richard Cœur de Lion trouve pour prendre les forteresses
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