L'énigme des blancs manteaux
Lardin à laisser derrière lui ces messages énigmatiques trouvait désormais son explication. Mais rien, pour autant, n'était acquis. C'était tout au plus, comme dans un conte de Perrault, un caillou jeté sur le sentier.
Il fut prêt en un instant. Il se brûla en avalant à la hâte la tasse de chocolat que Marion s'était empressée de lui préparer. La vieille servante déplora le peu de temps qu'il lui avait laissé pour fouetter le breuvage. Cette opération était nécessaire, disait-elle, pour augmenter l'ampleur du velouté et dégager la quintessence des arômes. Marion avait depuis longtemps adopté le jeune homme, et les coings épluchés en commun l'automne dernier avaient marqué pourelle le début d'une complicité affectueuse. Elle lui avait donné sa confiance sans calcul, émue aussi du respect qu'il portait à son maître. Poitevin, qui partageait le penchant de Marion, obligea Nicolas, avec une douce fermeté, à quitter ses bottes. En un tournemain, il les nettoya puis les cira. Enfin, il en fit briller le cuir à grands coups de brosse réguliers et avec force salive. S'arrachant aux délices de la maison Noblecourt, Nicolas se plongea avec allégresse dans l'air vif de la belle journée glacée qui s'annonçait.
Il se rendit tout d'abord au Châtelet, où il écrivit un message à M. de Sartine. Il s'agissait de solliciter sa présence le soir même, à six heures de relevée, pour présider une confrontation générale. Après quoi, il s'entretint longuement avec Bourdeau. Il convenait de faire extraire Semacgus de la Bastille et Louise Lardin de la Conciergerie, de convoquer Catherine, la cuisinière, et, bien entendu, la fille du commissaire. Pour l'heure, Nicolas, sans s'expliquer davantage, déléguait à son adjoint toute autorité sur les décisions ou les initiatives à prendre en son absence.
Cela précisé, il descendit à la Basse-Geôle et médita de longues minutes devant les restes trouvés à Montfaucon, qui avaient été rejoints, dans un congrès macabre, par les corps de Descart, Rapace, Bricart, Lardin et Mauval. Leur rassemblement offrait l'image terrible de la conjonction insensée de causes et d'effets que le vice, l'intérêt, la passion et la misère avaient finalement réduite à ce théâtre de corruption. Il lui fut pénible de revoir Mauval dont le visage, maintenant nettoyé, apparaissait serein et rajeuni. Quel concours tragique de circonstances avait conduit, dans ce dépositoire, des êtres si divers et si éloignés les uns des autres ? Il se pencha à nouveau sur l'inconnu du Grand Équarrissage, comme pourtenter de percer son secret et entendre de lui une confirmation. C'est dans cette attitude que le surprit Sanson. Leur conversation fut animée. Ils examinèrent le corps de Lardin, puis celui de Descart. De longs silences espaçaient leurs propos. Enfin, Nicolas quitta l'exécuteur des hautes œuvres après l'avoir convié à paraître à la séance présidée, le soir même au Châtelet, par le lieutenant général de police.
La journée de Nicolas fut riche en déplacements. Il avait pris une voiture et sillonna Paris d'un point à un autre. Il se fit tout d'abord conduire rue des Blanc-Manteaux. Il revisita avec soin la maison Lardin, puis franchit la Seine pour gagner l'étude de maître Duport, notaire de Descart mais aussi de Lardin. Il fut mal reçu, réagit encore plus mal et finit par obtenir ce qu'il était venu chercher. Il retraversa la ville pour s'enfoncer dans le faubourg Saint-Antoine. Il se perdit dans le dédale de ruelles et d'impasses du quartier des menuisiers. Après de nombreux détours, il dut s'enquérir de l'adresse recherchée auprès de passants aux informations contradictoires. Il réussit enfin à retrouver l'ébéniste dont le nom lui avait été fourni par la facture découverte dans la bibliothèque du commissaire Lardin. Le plus grand désordre régnait dans les papiers et les comptes de l'artisan. Après de longues recherches, celui-ci parvint enfin à renseigner Nicolas sur la commande en question. Son intuition confirmée, il s'accorda une pause dans une guinguette du faubourg, face à un de ces plats canailles qu'il affectionnait. Seule manquait à son bonheur l'amicale présence de Bourdeau, bon compagnon, toujours partant pour ce genre de ribote.
Ayant calmé sa fringale, Nicolas renvoya sa voiture et revint à pied par la rue Saint-Antoine. Aumilieu de la foule d'artisans et de gagne-deniers, il laissa
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