L'énigme des blancs manteaux
querellés et tous deux avaient quitté le bordel aux environs de minuit. Quant à Semacgus, il serait resté avec une fille jusqu'à trois heures du matin et n'aurait pas retrouvé son serviteur nègre, Saint-Louis, disparu lui aussi. Descart, interrogé, taisait sa soirée au Dauphin couronné et accusait Semacgus d'avoir tué son cocher. D'évidence, une rivalité opposait les deux hommes, autrefois liés.
— Jusqu'à présent, monsieur, s'impatienta Sartine, vous ne m'apprenez rien que je ne sache déjà.
— L'enquête au Dauphin couronné ouvrait de nouvelles voies. Il apparaissait que le ménage Lardin avait subi, dès l'origine, les retombées de la jeunesse agitée de Louise, et que Descart, cousin de Louise, avait détourné la fortune de ses parents et, par là même, se trouvait à l'origine de sa jeunesse débauchée. Lardin, malheureux dans son intérieur, recherchait des plaisirs mercenaires auprès des créatures de la Paulet. Joueur invétéré et pressé par les goûts de luxe de sa femme, il avait perdu une fortune et se trouvait soumis au chantage de malfaiteurs.
Le lieutenant général, inquiet de la direction périlleuse que prenait le récit, tapotait nerveusement le rebord de son bureau avec le stylet.
— De ces malfaiteurs, je ne dirai rien, reprit Nicolas, au soulagement de Sartine, ni des raisons qui les animaient. L'un d'eux pourtant nous intéressait. Il avait nom Mauval et sa présence obsédante avait été repérée alors qu'il nous espionnait à Montfaucon. Il se trouvait que ce Mauval était aussi l'amant de Louise Lardin. Il s'avérait également que Descart avait été attiré dans un piège au Dauphin couronné. Appâté par les propositions de la Paulet quicaressait ses penchants, il devait forcément tomber sur Lardin.
On entendit une voix étouffée qui protestait.
— Je répondais à la demande, dit la Paulet, c'est le client qui ordonne.
Nicolas ignora l'interruption.
— Cette rencontre et cette querelle apparaissaient donc nécessaires à un plan savamment préparé. Nous avons appris, par un autre témoignage, que le docteur Semacgus, loin d'avoir quitté l'établissement du faubourg Saint-Honoré après trois heures du matin, comme il l'avait d'abord affirmé, en était parti aux environs de minuit pour rejoindre le lit de Louise Lardin. Ainsi, au cours de cette nuit, personne n'avait d'alibi. Descart et Lardin disparaissent aux environs de minuit. Semacgus s'éclipse à la même heure. Saint-Louis, le cocher de Semacgus, n'est plus là. Louise Lardin, prétendument sortie pour aller entendre les vêpres ce soir-là, ne peut établir le lieu où elle se trouvait jusqu'à fort avant dans la nuit, comme le prouve le témoignage de sa cuisinière sur l'état de ses chaussures abîmées par la pluie ou par la neige. Le mystère reste entier mais l'un de ces personnages, le docteur Descart, va bientôt périr de mort violente, dans sa maison de Vaugirard. Les premières constatations sont ambiguës. Il paraît avoir été poignardé par une lancette à saignée. Tout incrimine le docteur Semacgus, invité par Descart à le rencontrer à l'heure de sa mort et qui avait toute latitude pour le tuer. Ou bien est-ce une ruse diabolique de ce même docteur Semacgus, qui entend par cet indice faire porter le soupçon sur lui-même d'une manière si ostensible qu'elle équivaut à l'innocenter ? Et que dire du personnage énigmatique dont le pas sautillant est noté par une mouche et dont je relève les petitesempreintes sur le sol gelé ? Seule conséquence de tout cela, Descart ne peut plus raisonnablement faire partie de nos suspects. Alors ?
— Oui, alors ? fit Sartine.
— Alors, monsieur, nous avons affaire à une machination machiavélique dans laquelle les coupables sont parfois des victimes.
— Il y a de plus en plus de brouillard dans vos propos, Nicolas.
— C'est que tout a été fait pour que les voies fussent embrouillées à un degré tel qu'en démêler les écheveaux est un travail de bénédictin. La première fausse piste est le cadavre de Montfaucon. Ce n'était pas celui de Lardin. Celui de Lardin, nous l'avons retrouvé hier dans les caves de la rue des Blancs-Manteaux.
Catherine Gauss poussa un cri.
— Bovre monsieur, bovre Marie !
— À qui appartenaient alors les restes macabres du Grand Équarrissage, et pourquoi avoir voulu nous égarer de la sorte ? En vérité, c'est une longue histoire. Imaginez, monsieur, le commissaire Lardin,
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