L'énigme des blancs manteaux
vous n'ayez à y renoncer...
XV
CURÉE
Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle Voyez le jour pour le triomphe : Que l'affreux désespoir, que la rage cruelle Prennent soin de vous rassembler Avancez malheureux coupables
Quinault
Semacgus parut le premier, plus rubicond encore qu'à l'accoutumée, mais impassible. Il fut suivi par la Paulet et la Satin. La première avait la mine basse, mais ses petits yeux perdus dans les replis de chair se déplaçaient comme ceux d'une bête aux abois. La seconde laissa percer sa surprise de se retrouver auprès du chirurgien de marine. Louise Lardin, en jupe grise et caraco noir, sans maquillage et sans perruque, semblait vieillie de plusieurs années. Quelques cheveux blancs apparaissaient déjà dans sa chevelure défaite. Marie Lardin, en deuil, serrait convulsivement un petit mouchoir. Catherine Gauss la soutenait, tout en fusillant du regard son ancienne patronne. Sanson entra comme une ombre et,debout, se confondit avec la muraille dans le retrait que formait l'angle de la cheminée. Bourdeau demeura devant la porte.
Les témoins prirent place sur les escabeaux prévus à leur usage. Le lieutenant général de police contourna le bureau et s'assit sur son rebord, balançant l'une de ses jambes et jouant avec un stylet d'argent. Nicolas, au centre de la pièce, les deux mains sur le dossier d'un fauteuil, lui faisait face. Le père Marie apporta deux flambeaux supplémentaires. Leurs lumières projetèrent la silhouette du jeune homme en une grande tache d'ombre au fond de la pièce.
— Monsieur Le Floch, je vous écoute.
Nicolas prit une longue inspiration, et se lança :
— Monsieur, l'enquête que vous m'avez chargé de diligenter touche à sa fin. Je crois pouvoir affirmer que des éléments décisifs ont été rassemblés qui permettent d'approcher la vérité et de désigner les coupables.
Sartine l'interrompit.
— Il ne s'agit pas d'approcher, mais bien d'atteindre. Nous attendons vos lumières, monsieur, quoique la vérité, comme le dit mon ami Helvétius 83 , soit un flambeau qui luit quelquefois dans le brouillard sans le dissiper.
— Du brouillard, il y en a eu beaucoup dans cette affaire, et dès ses origines, dit Nicolas. Reprenons les choses à leur commencement. Le commissaire Lardin avait disparu. Vous m'avez chargé d'enquêter sur cette disparition avec l'inspecteur Bourdeau. Nous avons procédé selon l'habitude, sans rien trouver d'abord. Puis, grâce au témoignage d'une vieille marchande de soupe, la vieille Émilie, nous avons découvert des restes humains au Grand Équarrissagede Montfaucon. Je note au passage, monsieur, l'efficacité d'une administration qui a permis à une information recueillie par le commissariat du Temple de parvenir à notre connaissance.
M. de Sartine salua avec ironie.
— Je suis heureux, monsieur, de votre constatation sur l'efficacité de ma police, qui fait en effet l'admiration de l'Europe. Mais poursuivez.
— Ces restes humains, nous les avons fait parler et ils nous ont appris plusieurs choses. Ils appartenaient à un individu chauve, de sexe masculin, dans la force de l'âge. Il avait été tué par une arme blanche, puis découpé, déposé à Montfaucon et sa mâchoire avait été fracassée. Notre examen prouvait que le corps était parvenu au Grand Équarrissage avant que surviennent la neige et le gel. Ainsi pouvions-nous dater son abandon sur place de la nuit même où le commissaire Lardin avait disparu. D'autre part, des vêtements ont été retrouvés auprès du corps, qui avaient appartenu au disparu. Tout portait donc à croire que les restes découverts étaient bien ceux que nous cherchions. Pourtant, un doute subsistait dans mon esprit. J'avais le sentiment que tout avait été agencé, disposé, comme si une volonté extérieure avait tenu à faciliter la reconnaissance de ces restes. Tout concourait à prouver qu'il s'agissait bien de ceux de Lardin. Je notai cependant un détail : une tache noire au sommet du crâne, sur laquelle je reviendrai. L'acharnement à détruire la mâchoire jetait aussi un doute sur la présomption première.
Nicolas marqua une pause, pour reprendre haleine, et poursuivit :
— L'enquête portait aussi sur l'entourage du disparu. Rapidement, nous avons appris par le docteur Semacgus que Lardin avait organisé un souper dansune maison de plaisir, le Dauphin couronné. Durant cette soirée essentielle, le docteur Descart et Lardin s'étaient
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