L'énigme des blancs manteaux
belle-mère. Le docteur était si faible avec elle.
— Ou votre belle-mère elle-même ?
— Elle est bien trop habile pour se compromettre.
Elle continuait à sangloter et il ne savait comment la calmer. Il l'enveloppa doucement dans sa redingote. Elle se laissa aller centre son épaule. Il n'osa plus bouger et c'est ainsi qu'ils firent leur entrée au Châtelet.
Nicolas confia à Bourdeau le soin de recueillir les dépositions de la Paulet et de Marie Lardin. La tenancière du Dauphin couronné serait incarcérée au secret en attendant que l'affaire pût être régulièrement évoquée devant un magistrat. La Satin pouvait rejoindre sa demeure, à condition d'observer la plus grande discrétion. Quant à Marie Lardin, elle serait conduite dans un couvent qui l'accueillerait jusqu'à la conclusion de l'enquête. Il n'était pas décent qu'elle retournât seule dans la maison des Blancs-Manteaux tant que ne seraient pas éclaircies les conditions del'assassinat de son père et levés les soupçons qui pesaient sur sa belle-mère.
Bourdeau proposa de la conduire au couvent des Dames anglaises 80 du faubourg Saint-Antoine, dont il connaissait la supérieure. Il interrogea son chef sur ce qu'il comptait faire. Nicolas, souriant, lui répondit avec un rien de goguenardise qu'il allait regagner son logis plein d'usage et raison et méditer sur l'insignifiance des choses en regardant son plafond. D'ailleurs, il se faisait tard, la nuit tombait; il avait à soigner ses blessures, il devait prendre des nouvelles de M. de Noblecourt et il avait grand faim.
L'insouciance de Nicolas était feinte mais il ne lui déplaisait pas d'intriguer Bourdeau. En rentrant rue Montmartre, il repassait dans son esprit les grandes étapes de son enquête. L'articulation de certains faits lui échappait encore. En dépit de sa fatigue et du choc que la mort de Mauval faisait toujours peser sur lui, il savait qu'une réflexion paisible et une nuit de sommeil lui éclairciraient les idées. Sa fringale s'aiguisait, mais il ne souhaitait pas chercher pitance dans un de ces établissements mercenaires qui restauraient le Parisien solitaire. Il éprouvait le besoin de la chaleur d'un logis.
La nuit était tombée et le froid était vif quand il franchit le porche de la maison du magistrat. Il retrouva avec plaisir l'odeur de pain chaud qui la parfumait en permanence. Il surprit Marion et Poitevin devisant à la table de l'office. Un grand pot fumant mijotait sur le potager. Cette scène familière le rasséréna tout autant que l'odeur qui chatouillait ses narines. Il apprécia d'être accueilli comme l'enfant prodigue des Écritures. M. de Noblecourt souffrait toujours, mais n'avait cessé de s'enquérir de son locataire. Il serait heureux de voir Nicolas.
Le jeune homme regagna sa chambre par l'escalier dérobé, après s'être emparé d'un broc d'eau chaude. Il voulait faire un brin de toilette et panser ses plaies avant de paraître devant le procureur. Il eut la joie de trouver les habits commandés chez maître Vachon. À la lueur de sa chandelle, le bel habit vert resplendissait de toutes ses broderies. Quand il pénétra enfin dans la bibliothèque, joyeusement accueilli par les cris et les bonds de Cyrus, il découvrit son hôte affalé dans son fauteuil, le pied droit enveloppé de ouate reposant sur un pouf de tapisserie. M. de Noblecourt lisait et dut faire un effort pour se tourner vers Nicolas.
— Dieu soit loué, s'écria-t-il le voilà enfin ! Mon pressentiment était faux. Je ne vis plus, depuis hier. Les plus funestes pensées m'ont obsédé. Je peux même dire qu'à chaque poussée de cette coquine de goutte a correspondu une bouffée d'angoisse. Heureusement, je m'étais trompé.
— Moins que vous ne le pensez, monsieur, et vous êtes pour beaucoup dans une prudence qui m'a sans nul doute sauvé la vie.
Nicolas entreprit de conter par le menu tout ce qui venait d'advenir. Ce ne fut pas chose aisée, car le vieil homme l'interrompait sans cesse par ses exclamations et ses questions. Il y parvint pourtant jusqu'au moment où Marion vint les interrompre en apportant à son maître une tasse de bouillon clair. Celui-ci proposa à Nicolas de manger le bouilli qu'on lui interdisait avec tous ses légumes. On ferait monter à son usage personnel une bonne bouteille de Bourgogne. Cette proposition fut acceptée d'enthousiasme.
— Marion me condamne à périr de faim ! soupira le magistrat. Heureusement, ajouta-t-il en
Weitere Kostenlose Bücher