L'énigme des blancs manteaux
lorsque vous m'avez fait l'honneur de me confier un secret d'État que le déroulement de l'enquête criminelle m'avait fait pressentir, je me suis donné pour mission de faire tout mon possible pour que cette affaire soit également élucidée. Mes bases de départ étaient étroites. Vous m'aviez appris que le commissaire Lardin, appelé par ses fonctions à relever les papiers d'un plénipotentiaire qui venait de mourir, avait dérobé plusieurs documents de la plus haute importance touchant les intérêts de la couronne et menaçant la sécurité du royaume. Détenteur de ces pièces, Lardin était en mesure à la fois d'assurer son impunité et de nourrir un odieux chantage. Cependant, lui-même, en raison de l'importance de ses dettes de jeu, était tenu à la gorge par Mauval, agent et âme damnée du commissaire Camusot, responsable de la police des jeux, corrompu et intouchable.
Sartine regarda Bourdeau en soupirant.
— Je n'insisterai pas sur les risques de divulgation de ces papiers auprès de puissances étrangères et de l'impossibilité où vous vous trouviez, monsieur,d'agir contre les responsables de ce crime de lèse-majesté. Mais j'étais convaincu que l'affaire de la disparition du commissaire Lardin ne pouvait qu'être intimement liée avec l'existence de ces papiers d'État, disons... égarés.
— Comment cela ? dit Sartine.
— La présence continuelle de Mauval autour de l'enquête, son espionnage, ses menaces et ses attentats contre moi, ne pouvaient s'expliquer que par des raisons bien fortes. Lardin était mort, mais ses assassins n'avaient pas réussi à remettre la main sur des documents, que le commissaire s'était évertué à leur dissimuler.
— Expliquez-moi comment ils avaient pu être informés de leur existence ?
— Le complot, monsieur le lieutenant général, le complot. Lorsque Lardin, en accord avec sa femme, prépare la machination qui vise à éliminer Descart, il informe son épouse qu'il possède des papiers de haute valeur pour qui saura les négocier. Il lui précise qu'ils constituent la garantie dernière de leur impunité. Cependant, l'homme conserve encore quelques restes de prudence. Ces papiers, ajoute-t-il, il les a dissimulés dans la demeure de son cousin Descart. Où, en effet, seraient-ils mieux cachés que dans cette maison qui reviendra à Louise Lardin, son héritière naturelle et la femme de sa supposée victime ? Toutefois, il se garde bien de préciser à son épouse l'endroit exact où il a déposé les papiers.
— Nicolas, c'est prodigieux ! On s'y croirait ! Vous étiez derrière la porte et sous les lits, et vous avez tout entendu ? Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer avec autant d'aplomb les détails de ce conte ? Et c'est pour cela que vous m'avez dérangé dans cette banlieue perdue ?
— Je me fonde, monsieur, sur mon intuition et ma connaissance d'êtres que j'ai eu l'honneur de démasquer. Or, il y a une chose impondérable et inattendue qui intervient dans cette mécanique bien huilée. Un petit grain de sable, une pierre d'achoppement...
— Ah ! oui, lesquels ? On croirait entendre un empirique !
— La conscience, monsieur, la conscience. Le commissaire Lardin avait longtemps été un serviteur hors pair de votre police. Il avait passé de longues années sous le harnais, donnant le meilleur de lui-même dans sa lutte contre le crime. Il lui en était resté quelque chose. Il n'était pas absolument assuré de la loyauté d'une femme dont il connaissait et acceptait les égarements. Il tolérait sa liaison avec Mauval, mais pouvait-il faire vraiment confiance à ce couple démoniaque engagé avec lui dans une entreprise mauvaise ? Peu importe, d'ailleurs, les raisons qui l'ont guidé. Cependant, je crois que, dans un sursaut de lucidité et de devoir, ou dans le pressentiment de sa fin prochaine, il a tenu à laisser une trace qui permette de retrouver les papiers dérobés. Cette trace, monsieur, est devant vous sur cette table.
Sartine bondit de son fauteuil et se mit à lire avidement les trois papiers déposés sur la table.
— Expliquez-vous, Nicolas. Cela n'a aucun sens et je n'y entends rien.
— Je dois d'abord vous raconter comment ces billets de la main de Lardin me sont parvenus. J'ai retrouvé le premier dans un de mes habits, le deuxième avait été adressé avec un présent à M. de Noblecourt, et le troisième confié à Marie Lardin avec recommandation de sa valeur. À première vue, l'ensemble n'est
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