L'énigme des blancs manteaux
nouvelle énigme, dit-il en avalant sa salive. L'homme que voici a été trouvé mort, une lancette à saignée plantée dans le cœur.
— Elle s'y trouve toujours, intervint Bourdeau. Je n'ai pas cru devoir toucher au cadavre et l'ai fait emporter en l'état.
— Je rends grâce au ciel de votre précaution, monsieur l'inspecteur, dit le bourreau, elle facilitera notre étude. Monsieur le Floch, vous sollicitez mon avis, mais je vous sais attentif, précis et apte à discerner les détails. Voulez-vous être mon élève et me confier vos premières remarques?
— Maître Sanson, j'ai en effet beaucoup à apprendre avec vous.
Il écarta le linge qui couvrait le corps. Dévêtu, il ne conservait que la chemise transpercée par l'instrument. La face était effrayante. Le front, sous l'empire de la mort, s'était ridé, les yeux enfoncés dans les orbites demeuraient ouverts mais obscurcis par une membrane trouble. Les tempes étaient creusées et ce creux se prolongeait par l'enfoncement des pommettes. L'homme était méconnaissable. Seule l'absencede menton, encore soulignée par l'ouverture de la bouche, évoquait, en caricature, ce qui, de son vivant, frappait dès l'abord chez Descart.
— Une première impression. Nous savons, par le témoin qui a découvert le corps et par l'inspecteur, qu'il n'y avait nulle trace de sang sur la victime ni aux alentours. Peut-on poignarder quelqu'un sans effusion de sang? Enfin, j'observe que le visage paraît congestionné, la bouche démesurément ouverte et que des taches sombres apparaissent là... et encore là...
Les doigts voltigeaient au-dessus de la face du cadavre.
— ... de vilaine couleur noirâtre, acheva Nicolas. Elles sont étranges.
— En vérité, approuva Sanson, vous avez suivi la bonne méthode; la froide constatation qui conduit à la question juste, sans intervention d'émotion ou d'imagination. Je n'avais considéré, avant votre venue, que le visage, et je puis déjà vous dire qu'il était éloquent pour le modeste praticien que je suis. Si je n'avais vu que lui, j'aurais conclu que la victime avait été étranglée, et peut-être aussi empoisonnée. Tout se complique avec cette lancette.
Sanson s'approcha de la table de pierre. Il examina la tête de Descart, se pencha, renifla, murmura quelques mots indistincts, puis, introduisant deux doigts dans la bouche ouverte du mort, il en retira délicatement quelque chose qu'il disposa avec précaution sur son mouchoir. Il tendit sa trouvaille aux deux policiers.
— Que vous en semble, messieurs? Qu'est ceci?
Bourdeau chaussa ses bésicles. Nicolas, dont la vue était celle d'un jeune homme, répondit le premier.
— Une petite plume.
— Il s'agit bien d'une plume. D'où provient-elle? D'un carreau ou d'un oreiller? Je vous laisse le soin de le déterminer. Mais que peut-on en conclure, monsieur Le Floch ?
— Que la victime a été étouffée...
— ... Et non étranglée, car il n'y a aucune marque de strangulation autour de son cou. Et comme un homme de cet âge ne se laisse pas étouffer si aisément, il y a fort à parier qu'il a été, au préalable, étourdi par une drogue. Il règne encore une étrange odeur, autour de cette bouche...
— Mais alors, maître Sanson, que vient faire cette lancette dans tout cela?
— C'est à vous de le découvrir, cela sort de mon domaine. Mais il y a quelques rencontres dans la vie où la vérité et la simplicité sont le meilleur manège du monde. Cette mise en scène de la lancette m'apparaît comme visant à égarer les soupçons et cela est d'autant plus assuré...
Il s'était de nouveau penché sur la poitrine du cadavre. Il tira doucement la lancette.
— ... que cette lancette n'avait pas, en réalité, le pouvoir de tuer. Elle n'est pas plantée dans le cœur et elle n'intéressait aucune partie essentielle.
Nicolas réfléchit un moment, avant de poser sa question.
— Mais si le coup de lancette n'était pas mortel, cette mise en scène pourrait-elle indiquer que son auteur n'avait aucune connaissance en anatomie?
Bourdeau sourit, il suivait pas à pas la démarche intérieure de Nicolas.
— C'est probable. Il me semble que l'assassin ne voulait pas tuer de manière sanglante. Il a ensuite ordonné une mise en scène dont il vous appartientd'élucider les raisons profondes. Ce faisant, il a commis deux erreurs. La première consistait à vouloir faire croire à une blessure mortelle au cœur, alors qu'il n'y avait pas
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