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L'énigme des blancs manteaux

Titel: L'énigme des blancs manteaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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pressé par le temps, l'archange s'arrêta entre le monde détruit et le monde réparé.
    Milton
    La Seine coulait aux pieds de Nicolas. La grève était envahie d'une couche inégale de neige et de boue gelées qui laissait entrevoir, par endroits, la vase liquide. Les eaux grises et tumultueuses défilaient si vite qu'elles ne permettaient pas à l'œil d'en suivre le débit. Des troncs d'arbres, arrachés en amont de la ville, surgissaient puis disparaissaient dans les remous de la crue. Un contre-courant remontait le rivage en mouvements violents qui recouvraient la plaque gelée comme un ressac. Fermant les yeux, Nicolas aurait pu se croire au bord de l'océan. Cette impression était renforcée par les cris aigus d'oiseaux de mer qui planaient, ailes déployées contre le vent, guettant quelque charogne dérivant au fil du courant.Seules les odeurs, que dégageait la vase en dégel ameublie et ranimée par le flot, dissipaient l'illusion. La contemplation du fleuve n'avait pas chassé le doute qui assaillait Nicolas. Pour la troisième fois, il relisait la lettre d'Isabelle. Les mots dansaient devant ses yeux. Il ne parvenait pas à comprendre ce que ce message signifiait, tant il lui paraissait inquiétant, confus et contradictoire :
    Nicolas,
    Je confie cette lettre à la Ribotte, ma femme de chambre, pour qu'elle la porte aux Messageries de Guérande. Je prie le Seigneur qu'elle vous parvienne. Mon père est d'une humeur fort sombre depuis votre départ et me surveille étroitement. Depuis hier, il est alité et ne consent à dire mot. J'ai fait chercher l'apothicaire. Je ne sais plus que penser de cette horrible scène. Mon père vous aimait et vous le respectiez. Comment en êtes-vous arrivés là ?
    Pour ma part, je demeure affligée d'être séparée de vous encore une fois. Je ne sais si je fais bien de vous avouer l'affliction dans laquelle m'a plongée votre départ si précipité. Seul l'attachement que je vous sais avoir pour ma personne procure un faible soulagement à ma douleur. Je vous imagine l'âme suffisamment tendre et généreuse pour cependant ne pas poursuivre un cœur qui ne peut se livrer sans contrainte à son inclination. Voilà que je ne sais plus ce que je dis. Adieu, mon ami. Donnez-moi de vos nouvelles, leur détail me dédommagera de la tristesse qui m'accable. Non, oubliez-moi, plutôt.
    Au Château de Ranreuil, ce 2 février 1761.

    Le jeune homme tenta, une nouvelle fois, de démêler les raisons de son malaise. La joie de recevoirune lettre de son amie s'était peu à peu transformée en une sourde inquiétude, au fur et à mesure que les mots se succédaient. Le souci de la santé de son parrain l'emportait d'abord. Tout le reste n'était qu'incertitude qu'aggravaient les termes choisis et l'ordonnancement des phrases. Depuis plus de deux années à Paris, il avait eu l'occasion d'aller à l'Opéra. Le message d'Isabelle aurait pu appartenir à quelque mauvais libretto. Les sentiments exprimés paraissaient forcés. Il soupçonnait, sans se l'expliquer, une sorte de comédie et, pour tout dire, une forme de coquetterie en désaccord avec la gravité de la situation. Il se souvint que cette impression l'avait déjà effleuré, lors de ses retrouvailles avec Isabelle au château de Ranreuil. La scène qu'ils avaient jouée, alors, tous les deux appartenait à un répertoire connu. Il s'agissait bien de celle du dépit amoureux, si souvent répété par les jeunes amants, dans les pièces de M. de Marivaux. Se pouvait-il qu'à son engagement entier ne correspondent, chez Mlle de Ranreuil, qu'un jeu ou qu'une apparence de passion destinés à lui procurer les émotions futiles de la comédie amoureuse ? Peut-être s'était-il inventé une amante et n'avait-il pas mesuré les risques de s'abandonner à un rêve. Au plus profond de lui-même, il pressentait qu'un amour qu'on doit protéger comme une terre menacée, que l'on doit expliquer et défendre comme un avocat devant un tribunal, était peut-être déjà un amour expirant. Et lui-même, ne s'était-il pas engagé avec légèreté et inconscience dans un attachement qu'une enfance partagée et les prestiges envoûtants d'une haute et puissante famille pouvaient expliquer ? Comment avait-il osé croire qu'un enfant trouvé pût regarder si haut, dans une direction si éloignée de sa propre condition ? Un flot d'amertume le submergeaet, avec lui, les rancœurs accumulées des humiliations passées. Parfois, l'espoir le

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