L'énigme des blancs manteaux
besoin de personne » et claquer sèchement l'huis à la figure. Nicolas avait remarqué, lors de sa dernière nuit dans la maison, combien elle était laissée à l'abandon. Jamais, par exemple, Catherine n'aurait laissé pourrir une venaison dans le caveau. Mille et un détails de l'intérieur du logis témoignaient du laisser-aller le plus complet. Comment Mme Lardin, si raffinée et exigeante, pouvait-elle tolérer un tel désordre domestique ? Nicolas sentait bien qu'elle ne souhaitait plus de témoins dans sa demeure. C'est pour cette raison que, Catherine et lui avaient été chassés, et Marie éloignée.
La mouche indiqua également à Nicolas qu'un personnage ressemblant au commissaire Lardin était apparu à la porte de l'église des Blancs-Manteaux. Il s'était engouffré dans l'édifice en apercevant l'indicateur qui s'était aussitôt jeté à sa suite, mais en vain. Il est vrai que le couvent possédait d'autres issues. Interrogée sur les raisons qui lui faisaient penser qu'il s'agissait du disparu, la mouche répondit avoir reconnu le pourpoint de cuir si caractéristique du commissaire, mais il n'avait pu entrevoir le visage de l'inconnu.
Nicolas, qui n'avait dans le ventre que le chocolat et le pain mollet de M. de Noblecourt, se sentait tenaillé par la faim. Il lui restait toutefois unedémarche à accomplir. Descart mort, qui disposerait de ses biens et de sa fortune ? Selon certaines affirmations, notamment celles de la Paulet, ceux-ci n'étaient pas négligeables. Par chance, Nicolas avait entendu les Lardin citer le nom du notaire de Descart à l'occasion de la vente d'un verger à Popincourt dont le commissaire, pressé de dettes, souhaitait se séparer. Il s'agissait de M e Duport, dont l'étude se trouvait rue de Bussy, rive gauche du fleuve. Le temps se maintenant au beau, Nicolas décida de s'y rendre à pied. L'air était limpide et glacé et pénétrait la poitrine comme une eau-de-vie blanche. Une lumière éclatante, qui venait juste de franchir le zénith, hésitait à se dissiper. La ville était comme reconstruite par la clarté et le gel. Ne voulant pas s'attarder outre mesure dans le quartier Saint-Avoye, le jeune homme prit au plus court, avec l'intention de se restaurer à l'un des étals de la rue des Boucheries-Saint-Germain.
Tout en marchant, il se remémorait sa matinée. De toute évidence M. de Noblecourt éprouvait des réserves à l'égard de Lardin et soupçonnait d'étranges menées autour du couple, dont il ne cachait pas la désunion.
Quant à la visite à maître Vachon, elle prouvait en tout cas deux choses. La première, qui ne lui avait pas paru alors avoir de signification particulière, était que Lardin disposait de plusieurs pourpoints de cuir. Les débris de l'un d'eux, découverts à Montfaucon, constituaient une des pièces à conviction de la mort du commissaire et tendaient à confirmer l'identité du cadavre. Cette constatation prenait un tour plus étrange, après le rapport de l'indicateur de la rue des Blancs-Manteaux. La seconde était la commande, parLardin, de quatre capes de satin noir. Pourquoi quatre vêtements de Carnaval ? Nicolas voyait parfaitement à qui étaient destinés trois d'entre eux : un pour Lardin, un pour Semacgus et un pour Descart. Le compte y était pour les participants à la « partie » au Dauphin couronné. Mais pour qui était la quatrième cape ? Louise Lardin était, elle aussi, sortie ce vendredi soir — le témoignage de Catherine était formel — vêtue d'une cape de satin noir. Était-ce l'une de celles de maître Vachon ou une autre ? Si c'était celle du tailleur, pourquoi le commissaire l'avait-il donnée à sa femme ? Il y avait là bien du mystère. Nicolas ne se souvenait pas d'avoir vu cette cape, lors de sa perquisition dans les chambres de la maison Lardin. Il faudrait, à nouveau, interroger Catherine pour savoir ce qu'elle avait fait du vêtement, ou alors...
Il franchit la Seine par le Pont-Neuf et gagna le carrefour de Bussy par la rue Dauphine. Il aimait ce quartier qu'il avait souvent sillonné lorsqu'il logeait au couvent des Carmes. Il songea avec affection au père Grégoire, qu'il retrouverait dimanche au dîner prié de M. de Noblecourt.
Nicolas estima peu habile de déranger le notaire à l'heure du repas, et il se dirigea vers la rue voisine des Boucheries-Saint-Germain. Il en connaissait les ressources, et il avait découvert qu'une boucherie parisienne était un monde bien à
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