L'énigme des blancs manteaux
signaler ce fait. Mon homme m'assure ne pas s'être endormi. J'ai tendance à le croire, je l'ai souvent éprouvé sans jamais trouver rien à redire à son service.
— Allons, il faut chercher : tout mystère a une explication. Redoublez la surveillance de la maison Lardin. Peut-être, faudrait-il faire filer la femme du commissaire, que vous en semble ?
— Je me suis permis de l'ordonner ce matin.
— Vous êtes parfait, Bourdeau.
— Tellement parfait, qu'on me cache l'essentiel.
Nicolas s'était réjoui trop tôt, il s'en mordit les lèvres. Il n'avait pas encore l'usage suffisant des êtres. Il trouva cependant le biais pour se tirer d'affaire, il éclata de rire.
— Monsieur Bourdeau, vous êtes un sot. Vous n'avez donc pas compris que je n'avais rien à attendre d'un homme de l'âge et du caractère de Semacgus, qui eût été interrogé devant vous, homme respectable et pareillement âgé. Je croyais que vous aviez compris que vous n'étiez pas en cause. Et pour vous le prouver, voilà où nous en sommes. Semacgus nous avait menti, il avait quitté le Dauphin couronné à minuit quinze, pour rejoindre Mme Lardin avec laquelle il était resté jusqu'à six heures. Pour Vaugirard, ma conviction est qu'il est hors de cause. Rabouine a dû vous dire que la maison était habitée pendant votre transport et qu'elle a ensuite été dûment visitée. Voilà, mon cher Bourdeau, de quoi panser les plaies de votre amour-propre.
Bourdeau hocha la tête sans répondre.
— En parlant de Rabouine et des autresmouches, reprit-il, il faut, monsieur, que je vous soumette un état des frais et vacations déboursés par moi, depuis lundi, dans les deux affaires qui nous occupent. J'ai avancé, sur mes deniers, les dépenses faites. Vous trouverez, ici, le détail des opérations et leur coût. La coutume veut que l'état soit signé par M. de Sartine, puis adressé au chef du Bureau des fonds et contentieux du Contrôle général qui expédie un mandat pour régler la dépense en question. C'est long... À enquête extraordinaire, règlement extraordinaire. M. de Sartine m'a pourvu du nécessaire, pour ce qui est de la dépense.
Nicolas considérait, perplexe, le papier que lui tendait Bourdeau. Il portait, imprimé à gauche, la justification des dépenses et, à droite, des colonnes pour le décompte des journées d'officier et d'archer, ainsi que les totaux. Il releva, avec curiosité, les dépenses extraordinaires engagées par l'officier (Bourdeau) et ses observateurs, ainsi que le nombre des fiacres et brouettes utilisés pour se déplacer au cours de l'enquête. L'activité des diverses mouches était aussi indiquée, ainsi que les honoraires de Sanson et ceux des deux médecins du Châtelet. Plus les frais de déplacements à Montfaucon et à Vaugirard, ainsi que les cellules à pistoles de la vieille Émilie et de Semacgus. Le total général s'élevait à 85 livres, que Nicolas voulut régler sur le fonds de réserve donné par Sartine. Il s'aperçut que son viatique de 20 louis, déjà bien écorné, ne suffirait pas. Il partagea ce qui restait et en donna la moitié à Bourdeau.
— Voilà un acompte. Je fais diligence pour le reste. Donnez-moi un reçu.
Bourdeau griffonna quelques mots au dos du mémoire.
— Je vais vous donner un billet pour M. de Sartine,afin de l'informer des derniers événements, lui demander des fonds et solliciter la signature d'une lettre de cachet, afin de mettre Semacgus en sûreté à la Bastille où vous le conduirez sous bonne garde. Non que je craigne qu'il ne s'échappe, mais pour éviter toute tentative contre lui. Nous ignorons à qui nous avons affaire. Durant ce temps, j'irai procéder à certaines vérifications. J'oubliais de vous dire, Bourdeau, que j'ai déménagé. Je ne pouvais rester chez les Lardin, vu les circonstances et, d'ailleurs, Mme Lardin m'a proprement mis à la porte. Je suis donc hébergé, pour le moment, chez M. de Noblecourt, rue Montmartre. Vous le connaissez.
— Ma demeure est à votre disposition, monsieur.
— Je suis sensible à votre offre, Bourdeau, mais vous avez déjà charge d'âmes.
Nicolas s'assit pour écrire le billet destiné à Sartine. Il prit congé de l'inspecteur et sortit du Châtelet. Impatient de prendre connaissance de la lettre d'Isabelle, il se dirigea à grands pas vers la Seine.
XI
FARE NIENTE
Semblable à un voyageur que les besoins de la nature obligent de se reposer sur le milieu du jour, quoiqu'il soit
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