L'énigme des blancs manteaux
légataire universel, Marie Lardin, fille du commissaire.
Nicolas était étourdi de ce qu'il venait d'apprendre. Ainsi, Descart, peu avant sa mort, avait éprouvé le besoin de mettre ses affaires en ordre. Mais, au lieu de le faire au bénéfice de sa seule parente connue, sa cousine Louise Lardin, il avait porté son choix sur la fille du commissaire, étrangère à son sang... Il était difficile de ne pas rapprocher ce fait de l'attitude de Lardin se manifestant, après sa disparition, par un message sibyllin. Chacun d'eux, par-delà la mort et l'évanouissement, adressait au vivant des signaux énigmatiques. Pourquoi Descart avait-il testé en faveur de la douce Marie, qui ne lui était rien ? Avait-il été séduit par son charme et son innocence, lui, le dévot hypocrite et dépravé. Ou bien, la personnalité, en apparence effacée, de la jeune fille dissimulait-elle des aspects plus ténébreux ? Descart avait-il voulu simplement prendre des précautions à l'égard d'une maîtresse dont il avait percé à jour le naturel infidèle et rapace ? Tout cela n'impliquait pas qu'il s'attendît à disparaître.
Tout en réfléchissant, Nicolas repassa la Seine et courut au Châtelet. Bourdeau n'y était pas : il était parti accompagner Semacgus à la Bastille. Il avait laissé un message dans lequel il donnait succinctement le résultat des examens de Sanson sur le cadavre de Descart. La victime avait été empoisonnée par une pâtisserie bourrée de matière arsenicale. Descartétait vraisemblablement tombé inconscient avant d'être achevé par étouffement, la tête enfoncée dans un coussin. Nicolas fut frappé par la sophistication de cet assassinat qui mariait deux manières de tuer, la mise en scène de la troisième destinée à environner de doute, sinon à dissimuler, les deux premières. Il était dit que tout devait apparaître masqué dans cette affaire comme la camarde elle-même, en vrai cauchemar de carnaval.
Il sortit du Châtelet et, pour la première fois depuis son retour à Paris, il se sentit désœuvré. Il était déjà tard et la nuit tombait en même temps qu'un froid vif, accru par un vent renforcé. Il s'autorisa une halte chez le pâtissier Stohrer, rue Montorgueil, où il fit une orgie de ses babas préférés. Quand il rentra chez M. de Noblecourt, Marion veillait, auprès du feu, sur le bouillon double que prenait le magistrat avant de se coucher. Il était en ville à un souper. Nicolas se retira dans son nouveau domaine. Après avoir rangé son maigre bagage et s'être déshabillé, il choisit un livre au hasard parmi tous ceux qui l'environnaient. C'était Vert-Vert, de Gresset 50 . Il l'ouvrit et un vers tomba sous ses yeux :
Ah ! Qu'un grand nom est un bien dangereux. Un sort caché fut toujours plus heureux.
Il eut un sourire amer. Remontait soudain la tristesse suscitée par la lettre d'Isabelle et par les tristes réflexions qu'elle avait entraînées. Avec elle resurgit la vision du jeune homme élégant, dans le miroir de maître Vachon, cette image qui était à la fois lui et un autre, sentiment tentateur et menaçant. Nicolas lâcha le livre et s'allongea. La chandelle de l'alcôve se mit à filer. Une longue colonne noire montait vers lessolives, dessinant peu à peu une tache sur leur surface laquée. Il la regardait pensivement. Il se leva pour moucher la mèche entre ses doigts humectés et se recoucha tout aussitôt, habité par une pensée qu'il ne parvenait pas à fixer mais qui cheminait en lui. Cette empreinte sur la solive lui rappelait quelque chose — et, soudain, il revit la tache sombre sur le haut du crâne du cadavre de Montfaucon. Il s'endormit sur cette découverte.
Dimanche, 11 février 1761
Nicolas avait laissé s'écouler la journée du samedi dans la volupté de l'inaction. Levé tard, il avait profité du temps toujours éclatant pour errer dans Paris. Son vagabondage l'avait conduit dans des églises, puis au Vieux Louvre où il avait admiré les devantures des marchands d'estampes et de tableaux. En fin d'après-midi, il avait soupé dans une taverne proche de la Halle. Sur le chemin du retour il n'avait pas réussi à échapper à des troupes de gamins criant « À la chienlit ! lit ! lit ! » et qui lui donnèrent, à plusieurs reprises, des coups de « battes à rat » 51 . Il dut faire appel au service d'un brosseur pour nettoyer son vêtement des empreintes de craie dont il était couvert. Rompu, il était discrètement rentré
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