L'envol des tourterelles

pensées l’avaient effleurée si discrètement qu’elle ne s’était pas permis de réfléchir auxinquiétudes de ceux qu’elle aimait. Denis souffrait et c’était la seule chose qui importait.
    Elle vit sa poitrine se soulever par à-coups et comprit qu’il était victime d’une nouvelle crise de désespoir. Denis agrippa l’oreiller, s’y enfouit la tête et, aux sons qu’il fit, Élisabeth sut qu’il le mordait à pleine bouche. Elle resta là à le regarder, impuissante à le consoler, catastrophée par ce qu’il venait de lui apprendre, incertaine quant à son avenir.
    L’après-midi s’effaçait devant la nuit quand Jan frappa à sa porte en en ébranlant presque les gonds. De la chambre, elle l’entendit qui criait presque.
    – Je sais que tu es là, Élisabeth. Ouvre-moi ou je paierai le prix qu’il faut à un serrurier. Même si c’est le soir de Noël, j’en trouverai un, fais-moi confiance.
    Élisabeth ne put sourire à Denis, qui avait toujours le visage caché sous l’oreiller. Elle lui caressa la main et sortit de la chambre. Elle s’approcha de la porte, jeta un rapide coup d’œil à Jan par la petite fenêtre, essaya de cacher son propre visage et, chuchotant presque, annonça à son frère qu’elle ne pourrait aller au dîner et lui demanda d’embrasser Nicolas et Michelle.
    – Je ne peux pas faire ça, Élisabeth. Michelle a travaillé toute la journée et Nicolas t’attend avec impatience. Tu sais que son Noël avec toi est important.
    – J’irai demain.
    – Ce ne sera plus Noël.
    Élisabeth savait que, pour une des rares fois de sa vie, ne pouvant abandonner Denis, elle devait tenir tête à son frère.
    – Est-ce le docteur Boisvert qui te retient, Élisabeth?
    Elle s’appuya le dos contre la porte, cherchant une réponse à la question de son frère qui lui arrivait commeun coup de poignard supplémentaire. Depuis dix ans qu’elle et Denis s’aimaient, elle n’en avait jamais parlé, et le moment était plus que mal choisi pour le faire. Elle n’essaya même pas de nier la chose.
    – Non, Jan. Le docteur Boisvert ne me retient pas.
    – Il t’a fait de la peine?
    – Non, Jan. Un jour...
    Elle allait lui dire qu’elle lui parlerait de ses amours, mais elle n’en eut pas le temps, entendant de la chambre un craquement de sommier qu’elle interpréta comme un appel au secours. Sans plus s’intéresser à son frère, elle retourna auprès de Denis. Elle put cependant entendre Jan lui dire qu’il ne parlerait de cette conversation à personne et qu’il l’excuserait auprès de Michelle.
    Denis s’était assis sur le bord du lit et son corps avait l’air complètement désarticulé tant il ne savait se composer d’attitude. Élisabeth le pria de se recoucher, mais il fit non de la tête. Après une éternité de silence, il lui demanda d’aller chez son frère. D’une voix éteinte, il lui rappela qu’il devait rentrer chez lui pour le dîner de Noël, puisque lui et sa femme recevaient. Il la regarda, la suppliant tacitement de venir à son aide. Élisabeth en eut si mal que ses genoux fléchirent et qu’à son tour elle dut s’asseoir sur le lit.
    – Je pense, mon amour, que tu devrais prendre un bain avant de partir. Ça te ferait du bien. Et je vais te mettre des rondelles de concombre sur les yeux pour les faire dégonfler.
    Denis leva la tête et tenta un sourire. Il la prit par l’épaule et l’attira contre lui, s’enfouissant le nez dans son chemisier.
    – Pauvre Élisabeth! Tous les jours, je regrette de t’avoir fait monter dans ma galère.
    Élisabeth ne répliqua pas que son exemple était mal choisi et qu’elle se sentait parfois prisonnière de l’amour démesuré qu’elle lui portait depuis dix ans. Mais elle avait accepté d’être dans les coulisses de sa vie et n’avait jamais regretté cette décision. Elle lui baisa doucement le front.
    – Je fais couler l’eau?
    Sans répondre, Denis la suivit à la salle de bains, s’y regarda dans le miroir, lui demanda d’apporter le concombre et commença à se dévêtir. Élisabeth ouvrit les robinets et revint avec le concombre dans une salle complètement embuée, véritable reflet de ce qu’ils ressentaient tous les deux. Denis se laissa glisser dans l’eau et ni l’un ni l’autre ne parla du malheur qui s’était abattu sur lui.
    – Je ne veux pas que tu me dises quoi que ce soit, Élisabeth. C’est décidé: j’abandonne l’obstétrique et je ne ferai plus