L'épopée d'amour
découvrir l’une l’autre !
Une légère sueur coulait de leurs fronts pâles. Elles s’examinaient avec une formidable intensité d’attention, et cependant paraissaient paisibles, un peu émues seulement des choses graves qui se disaient.
Dans cette dernière et suprême bataille entre les deux femmes, la reine fut la plus forte. Elle ne commit aucune faute. Alice en commit une terrible en oubliant de se demander pourquoi Catherine lui faisait de telles confidences.
Alors la reine acheva son évolution, ce qu’on pourrait appeler un mouvement tournant de la pensée ; sans grand effort, ses yeux se remplirent de larmes et elle murmura :
– Hélas ! mon enfant, qui pourra jamais sonder le cœur d’une mère ? Ce fils, qui est une menace pour moi, ce fils dont j’ai peur, ce fils que je cherche à écarter de ma vie sans le connaître, eh bien ! je donnerais tout au monde pour le voir… ne fût-ce qu’une fois ! Oh ! tu ne peux comprendre cela, toi !
Alice demeura écrasée.
– En effet, gémit-elle au fond de sa conscience, je ne puis comprendre cela, moi ! Moi qui vais partir, abandonnant mon enfant…
– Vois-tu, reprit la reine avec un sanglot, depuis des années et des années, c’est de cela que l’on me voit triste à la mort ! Ce fils, Alice, il m’inspire une terreur insurmontable… et pourtant, je l’aime ! Oh ! si seulement je pouvais le bénir, l’embrasser à mon heure dernière… Comme je l’ai cherché… Comme je le cherche encore !…
Les mains jointes, les yeux humides, la voix brisée, la reine sembla oublier la présence d’Alice.
– Est-il plus effroyable supplice pour une mère ! Passer sa vie à chercher l’enfant que l’on aime en secret sans même avoir la consolation de pouvoir avouer son amour maternel !… Ceci est affreux… Je le sens… jamais je ne le verrai… et pourtant, un espoir me reste… que disais-je donc, Alice ?… oui, c’est sur toi que je compte…
– Sur moi, madame ! balbutia l’espionne.
– Ecoute ! Quoi que tu en dises, Marillac connaît mon fils. Le comte, dans son extrême loyauté, ne t’a jamais entretenu de ce mystère… mais à quelques mots qui lui sont échappés, devant moi, je sais qu’il connaît mon fils !… Alors…
– Alors, madame ? fit Alice toute palpitante.
– Eh bien, lorsque vous serez à Florence, tu lui arracheras ce secret… c’est le dernier service que je te demande, Alice ! Ta reine mourra en te bénissant si, grâce à toi, elle a pu voir son fils !…
Alice chancelait. Son esprit vacillait. Elle était comme un duelliste qui a reçu plusieurs coups et qui sent l’épée lui échapper des mains. Elle jeta un regard sur la reine et la vit livide.
Catherine l’était en effet : par l’effort énorme de sa patiente ruse, par l’effort plus prodigieux encore de la douleur vraie, naturelle, profonde, dont elle bouleversait son visage.
– Hélas ! reprit-elle dans un murmure, et en fermant les yeux, faible espoir ! Qui sait si tu arriveras jamais à me faire connaître ce fils que je cherche en vain…
– J’en suis sûre, madame ! s’écria l’espionne hors d’elle.
– Tu cherches à me consoler, fit la reine en se raidissant dans son rôle. Tu ne sais rien… tu me l’as dit…
– Madame, je vous jure que je vous ferai connaître votre fils !…
– Hélas ! en es-tu bien sûre ?…
– Aussi sûre que je vois Votre Majesté !
Ce fut une explosion sur les lèvres d’Alice.
La reine ferma les yeux, ses traits se détendirent : la lutte était terminée par ce mot. Avec la profonde satisfaction du triomphe, avec la haine furieuse qui s’était accumulée en elle, avec l’épouvante que le secret n’eût déjà franchi le cercle où il était enfermé, elle murmura en elle-même :
« Enfin ! tu avoues ! Tu sais, vipère !… Bon, bon… Ils étaient trois : Jeanne d’Albret, Marillac, Alice… Jeanne d’Albret est morte. Au tour d’Alice… et de mon fils !… »
Elle rouvrit les yeux, se leva, embrassa au front l’espionne.
– Mon enfant, dit-elle, je vous crois !… C’est vous qui me ferez retrouver mon fils… Adieu, Alice, à ce soir… D’ici là, vous êtes ma prisonnière… quelqu’un viendra vous prendre ici.
Elle sortit, laissant Alice palpitante, courbée par l’émotion plus encore que par le respect.
– O mon amant ! s’écria l’espionne quand elle fut seule, enfin, nous touchons au bonheur !
q
Chapitre
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