L'épopée d'amour
levèrent, s’inclinèrent, demeurèrent courbés.
Charles IX avait repris assez d’empire sur lui-même pour paraître calme.
Il couvrit son visage de cette dignité empruntée qui sert aux grands pour cacher leurs pensées.
– Messieurs, dit-il, je vous remercie de vous être rendus à mon appel…
Ce trait d’audace était presque un trait de génie, et Catherine regarda son fils avec étonnement.
– Asseyez-vous, messieurs, continua Charles, et délibérons sur les affaires présentes. Parlez le premier, monsieur le chancelier.
– Sire, dit Birague, j’ai fait crier aujourd’hui l’édit qui défend aux Parisiens de sortir armés dans les rues. Or, à mesure que cet édit se criait, les rues de Paris se sont remplies de gens en armes. Les capitaines de quartier ont rassemblé leurs hommes, et à l’heure qu’il est, il y a dans chaque maison des soldats prêts à occuper les carrefours. J’estime, sire, qu’il nous est impossible de résister à une pareille force. Les circonstances sont telles que Votre Majesté me pardonnera de parler sans ambages : si M. de Coligny est encore vivant d’ici vingt-quatre heures, il ne restera plus pierre sur pierre dans Paris.
– Votre avis est donc que nous devons arrêter M. l’amiral et instruire son procès ?
– Mon avis, sire, est qu’on doit exécuter M. de Coligny séance tenante et sans autre forme de procès.
Le roi ne montra aucune surprise.
Seulement, il devint un peu plus pâle, et ses yeux parurent encore plus vitreux que d’habitude.
– Et vous, monsieur de Nevers ?
– Moi, dit le duc de Nevers, j’ai vu ce soir des bandes de huguenots qui, hautement, accusaient Votre Majesté de jouer double jeu. J’ai vu ces mêmes huguenots tout pâles et déconfits au moment où ils ont su que l’amiral avait été tué ; ils se préparaient tous à prendre la fuite. Puis, lorsqu’ils ont connu la vérité, plus insolents que jamais, ils ont décidé qu’il fallait exterminer les catholiques, de crainte d’être exterminés par eux ; qu’on tue Coligny, et tout danger est conjuré. Mais si Coligny est vivant demain soir ou dimanche matin, je pense comme M. le chancelier que nous sommes tous perdus.
Tavannes, interrogé, fit une réponse pareille.
Le duc d’Anjou assura que le maréchal de Montmorency à la tête des politiques allait se réunir aux huguenots pour accabler le roi et Paris.
Gondi, dans un beau mouvement de colère, dit qu’il était prêt à étrangler l’amiral de ses propres mains.
Catherine ne disait rien.
Elle écoutait et souriait.
Seulement, quand tous eurent parlé, quand elle vit Charles IX si pâle qu’on eût dit un spectre, ses lèvres blanches agitées d’un tremblement convulsif, elle se tourna vers lui et prononça :
– Sire, nous ici présents, et toute la chrétienté comme nous, attendons le mot qui doit nous sauver.
– Vous voulez donc que l’amiral meure ? bégaya Charles.
– Qu’il meure ! dirent-ils tous d’une voix.
Le roi se leva de son siège et se mit à marcher à pas précipités dans l’oratoire, essuyant à grands revers de mains l’abondante sueur qui coulait sur son visage.
Catherine le suivait des yeux dans ses évolutions. Sa main, cette main de femme encore fine et belle, s’était crispée au manche de la dague qu’elle portait toujours à sa ceinture. Une double flamme d’un feu sombre jaillissait de ses prunelles grises ; ses sourcils s’étaient contractés ; toute sa personne se raidissait dans une tension de volonté portée au paroxysme. Qui peut savoir quelles pensées roulaient dans cette tête à ce moment ? Qui sait si elle ne rêva pas le meurtre de ce fils indigne d’elle ?…
Charles IX allait et venait, murmurant des mots sans suite.
La reine le vit s’arrêter au pied du grand christ d’argent massif sur sa croix d’ébène. Il leva des yeux hagards. Christ et le roi de France parurent se regarder. Catherine fit trois pas rapides et, levant ses deux bras vers la croix, d’une voix rauque, rocailleuse, empreinte d’une étrange exaltation, elle cria :
– Maudis-moi, Seigneur, maudis-moi d’avoir porté dans mes flancs un fils qui méprise ta loi, résiste à tes ordres, et sous ton divin regard, songe à jeter bas ton temple !…
Charles, les cheveux hérissés, recula et gronda :
– Vous blasphémez, madame !…
– Maudis-moi, Seigneur ! continua Catherine fanatisée par l’excès de l’effort, maudis-moi de ne pas
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