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L'épopée d'amour

Titel: L'épopée d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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était bondée, toutes ses salles occupées, toutes ses tables prises : et là grouillait un monde fantastique, une foule défiant pinceaux, crayons et plumes, un étrange fouillis d’êtres bizarres, sordides, loqueteux, visages fanés, visages terribles, rien que des femmes, toute la cour des Miracles femelle, truandes, diseuses de bonne aventure, danseuses de corde, mendiantes, les unes jolies sous les haillons, les autres hideuses, toutes vêtues de pièces et morceaux.
    A toutes, Catho, aidée de deux ou trois femmes, servait à manger, versait à boire : ce qu’il y avait de meilleur dans sa cave y passait ; elle causait vivement à quelques-unes, glissant à celle-ci un ducat, à celle-là un écu d’or…
    Puis, tout à coup, après que Catho eut dit quelques mots, cette vision s’évanouit ; les béquillardes reprirent leurs béquilles, les bossues leur bosse, les borgnes leur emplâtre et, en quelques minutes, l’auberge se vida.
    Tout ce monde inouï, exorbitant, s’était enfoncé dans l’ombre sereine de la nuit d’été.
    Catho, alors, alla à une armoire et en tira trois sacs d’écus d’argent et d’or.
    – La fin ! murmura-t-elle avec une grimace.
    Et elle attendit, prêtant l’oreille.
    Vers une heure, le cabaret qui s’était vidé commença à se remplir de nouveau : cette fois encore, il ne vint que des femmes. Et leur misère, à celles-ci, était plus décente et s’attifait d’oripeaux. Il y en avait de très jolies. Il y en avait des laides. La plupart étaient jeunes. Presque toutes portaient la robe lâche et la ceinture ; beaucoup de ces ceintures étaient brodées d’or…
    Et c’étaient les ribaudes, toutes celles qui faisaient métier de leur corps, et que Catho, l’une après l’autre, avait depuis trois jours décidées. Elles riaient, chantaient, les unes d’une voix douce et dolente, les autres d’une voix enrouée ; toutes buvaient, buvaient ! et leurs regards brillaient, et elles s’exaltaient !…
    Catho recommença la distribution des écus. Ses trois sacs se vidèrent.
    Alors les ribaudes, par petits groupes, s’en allèrent dans la nuit silencieuse, et l’auberge demeura vide.
    Catho prit une lanterne et descendit à sa cave : elle vit qu’il ne lui restait plus une bouteille de vin, plus un flacon de liqueur ! Elle remonta dans le cabaret, pénétra dans l’office et vit qu’il ne lui restait plus un jambon, plus un morceau de pain, plus une volaille, plus un pâté !… Elle monta à sa chambre, ouvrit ses armoires et vit que depuis deux jours, elle avait vendu ce qu’elle possédait pour en faire de l’argent… Elle ouvrit l’armoire où elle avait placé son argent, vit qu’il ne lui restait plus un sou…
    – Bah ! dit-elle simplement.
    Alors, elle prit une forte dague qu’elle plaça à sa ceinture, sortit, ferma la porte du cabaret dévasté, plaça les clefs sous la porte et s’éloigna à son tour.
    Et comme elle marchait sans hâte, vers un but mystérieux, elle remarqua qu’un étrange silence pesait sur Paris par cette claire et sereine nuit d’été.
    q

Chapitre 30 CE QU’IL Y AVAIT DANS CE SILENCE
    L a nuit était claire ; c’est-à-dire que le ciel constellé du zénith jusqu’à l’horizon paraissait tout pâle de cette pâleur indécise et tendre de la toute première aube. Pourtant l’aube était loin encore. Il y avait au firmament une telle profusion d’astres que, malgré l’absence de la lune, l’océan noir des toits de Paris en était vaguement illuminé. Mais, sous ces toits qui se touchaient presque d’un bord à l’autre des rues, les chaussées demeuraient pleines de ténèbres.
    Un calme infini flottait sur toutes choses.
    La chaleur n’était pas étouffante comme par les nuits d’été orageuses ; mais une tiédeur vaporeuse alanguissait les arbres dans les nombreux jardins d’où montaient des parfums de roses.
    Catho marchait, étonnée de cette majestueuse sérénité ; bien que son âme inculte et farouche fût peu apte à regarder face à face les beautés insondables, elle levait parfois la tête vers le zénith diamanté ; puis peut-être parce qu’elle ne pouvait saisir l’émotion qui tombait de ces harmonies, elle baissait son regard en frissonnant.
    Seulement, elle pensait :
    « Comme la nuit est belle ce soir ! »
    Et comme cette pensée traversait son esprit, elle s’étonna de ne pas voir dans l’ombre les couples d’amoureux qui cherchent les belles nuits,

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