L'épopée d'amour
l’homme.
Ainsi donc : la toute-puissance par la richesse infinie, la science absolue par la connaissance de l’avenir ; la parfaite jouissance de la vie par l’immortalité, voilà le rêve fabuleux qui hantait ce cerveau.
Cet homme qui tremblait devant Catherine, laquelle n’était après tout que son élève, cet homme, gauche et timide devant les grands, cet homme qui s’était ravalé à d’abominables besognes pour complaire à la vieille reine, devenait dans son laboratoire une sorte de géant ; alors, soit que l’orgueil de ses précédents travaux l’aveuglât, soit que l’excès même du travail l’eût conduit aux portes de la folie, son esprit déployait des ailes d’une envergure démesurée, et il se lançait dans les abîmes de l’insondable.
Quand il était fatigué de regarder au ciel, il redescendait à la chimie ; quand il était fatigué de se pencher sur ses creusets, il se colletait avec la mort…
Et, courbé sur le cadavre de quelque supplicié qu’il avait acheté au bourreau, il cherchait, oui, il cherchait le moyen de faire revivre ce cadavre !…
« Qu’est-ce que le cœur ? songeait-il : un balancier. Qu’est-ce que le sang ? Le charroi de la vie. Voici un corps. Le sang y est toujours, c’est-à-dire le moyen de véhiculer la vie. Le cœur y est toujours, c’est-à-dire le régulateur nécessaire aux mouvements de la vie. Nerfs, muscles, chair, cerveau, tout y est. Or, ce corps, tel qu’il est maintenant, vivait ce matin. Il a suffi qu’une corde l’ait serré au cou pour qu’il devienne cadavre. Et cependant, il est tel qu’il était avant la pendaison. Que manque-t-il à ce corps de matière ? Evidemment le corps astral qui mettait en mouvement le balancier et charriait de la vie à travers les veines. Ce que j’appelle mort n’est que la séparation du corps astral et du corps matériel. Voici le corps matériel inerte, prêt à se décomposer. Mais le corps astral qui l’a quitté vit par là, quelque part, tout près d’ici, sans aucun doute. De quoi s’agit-il donc, en somme ? D’obliger ce corps astral à se réincarner en ce corps matériel. Voilà tout. Si je trouve le charme ou l’incantation qui forcera le corps astral à rentrer dans cette enveloppe, cet homme sera donc ressuscité… Et lorsque j’aurai trouvé cela, ne trouverai-je donc pas du même coup le moyen d’obliger le corps astral à ne jamais quitter le corps matériel… c’est-à-dire l’immortalité ! »
Quand il avait bien ainsi rêvé, Ruggieri modelait une statuette de cire qui représentait à ses yeux le corps astral du cadavre. Et sur ce simulacre, il essayait ses incantations…
Quelquefois, il lui avait semblé voir le cadavre tressaillir comme prêt à se réveiller. Mais l’illusion s’envolait bientôt.
A force de triturer le problème sous toutes ses faces, un jour, il se frappa le front :
– Quelle erreur ! murmura-t-il. Je dis que le sang est dans le cadavre. Oui, il y est. Mais il n’y est plus à l’état liquide. Il est coagulé. Il ne peut plus charrier la vie. Il faudra donc au prochain cadavre que j’achèterai, il faudra qu’avant toute incantation, je lui transfuse un sang vivant !…
Or, maintenant que nous avons complété le portrait de Ruggieri, maintenant qu’une lumière livide, mais nécessaire, a été projeté sur cette monstrueuse silhouette, nous prierons le lecteur de se transporter de cinq jours en arrière, jusqu’au moment où le groupe d’hommes que nous avons signalé en temps et lieu, pénétra dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et enleva le cadavre de Marillac.
Catherine s’était montrée généreuse : à Panigarola, elle laissait le cadavre d’Alice ; à Ruggieri, elle envoyait celui de son fils. Ruggieri attendait, en effet, hors l’église. Quand il vit les hommes qui emportaient Marillac mort, il s’approcha et prononça quelques paroles, sans doute un mot de reconnaissance.
Alors, il fit un signe, et les funèbres porteurs se mirent à le suivre.
Arrivé rue de la Hache, Ruggieri s’arrêta non loin de la maison qu’avait habitée Alice de Lux, et ayant fait déposer le cadavre à terre, il renvoya les porteurs. Quand il fut bien sûr que ces gens étaient partis et ne l’épiaient pas pour savoir où il entrait, il alla ouvrir une petite porte basse qui avait été pratiquée exprès pour lui près de la tour et par où il entrait d’habitude dans les jardins du nouvel hôtel de
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