L'épopée d'amour
l’éternel repos ?
– Tu entreras, je le veux, dit Ruggieri. Pardonne-moi, mon fils, de t’emprisonner ici. Entre, je le veux.
Il vit la forme blanche hésiter, reculer, prendre son élan, et se placer enfin au centre des lumières, à la place même qu’il avait occupée.
Une satisfaction infinie se peignit sur les traits pétrifiés de Ruggieri.
Au bout de quelques minutes, son visage se détendit, ses yeux reprirent leur position naturelle, son bras droit retomba pesamment, le livre s’échappa de sa main gauche et roula sur le parquet.
Regardant dans le cercle de lumière, Ruggieri ne vit plus rien : la forme blanche avait disparu.
Mais il sourit et murmura :
– Je ne suis plus en état de voyant ; donc je ne vois pas ; mais il est là ; le corps astral de mon fils est là ; et il ne sortira que lorsque je le voudrai. O mon fils, pardonne-moi. Tu n’attendras pas longtemps…
Ruggieri subit alors, et d’une façon soudaine, la réaction de l’état morbide où il s’était placé par suite d’un phénomène de volonté connu et décrit par tous les anciens auteurs des sciences ésotériques, mais que la médecine moderne a inventé… en lui donnant le nom tout battant neuf d’autosuggestion.
La Salpêtrière [28] est remplie de gens qui voient et entendent comme Ruggieri vit et entendit.
Pendant quelques minutes, il demeura tremblant, vacillant, agité de frissons fiévreux, les cheveux hérissés par ce que les vieux poètes de l’antiquité appelaient « l’horreur sacrée ».
Mais bientôt il se remit, et courant aux volumes qu’il avait jetés sur le parquet, il saisit l’un d’eux et sortit rapidement de son laboratoire.
Le cadavre demeura seul sur la table de marbre, tandis que les sept flambeaux continuaient à brûler dans l’angle éloigné, éclairant le poignard planté en forme de croix.
Ruggieri était entré dans sa chambre à coucher et, ayant allumé une lampe, se mit à parcourir le volume qui portait ce titre ;
Traité des fardements
.
C’était une œuvre de Nostradamus publiée à Lyon en l’an 1552.
Vers le milieu du volume se trouvaient cinq pages manuscrites.
– Voilà, murmura Ruggieri, voilà ce que me laissa en mourant mon bon maître Nostradame. Que de fois j’ai lu et relu ces lignes tracées par sa main quelques heures avant sa mort ! Que de nuits j’ai passées sur ces cinq pages qu’il m’a sans doute laissées pour que je pusse tenter sa réincarnation !… Je la tentai. Par trois fois, j’entrai dans son tombeau, là-bas, dans l’église de Salon… mais je n’avais pas de sang à lui transfuser… Lisons encore… essayons !…
Le manuscrit était divisé en trois parties très courtes, écrites à la hâte, et dont beaucoup de phrases était simplement commencées.
La première partie commençait par ces mots :
– La réincarnation peut s’obtenir moyennant le rappel du corps astral…
La deuxième partie portait une sorte de titre qui était :
– Accointances qu’il peut y avoir entre le corps astral et le corps matériel après leur séparation.
Enfin la troisième partie était également résumée par quelques mots placés en tête de la page :
– Quel sang il faut infuser au cadavre.
Ce fut cette dernière partie que Ruggieri se mit à lire et à relire longuement, la tête dans les deux mains.
Enfin il se leva, alla à une armoire de fer encastrée dans le mur et dissimulée par une tapisserie. L’ayant ouverte, il en tira, parmi une foule de papiers, un rouleau de parchemin qu’il déroula sur la table et sur lequel il s’accouda.
C’était une grande feuille sur laquelle étaient tracés des signes géométriques avec renvois explicatifs sur les côtés. En haut de la feuille, ces mots étaient écrits :
– Horoscope de mon fils Déodat, comte de Marillac, et diverses constellations en conjonction avec la sienne.
Alors, l’astrologue se mit à commencer une série de calculs géométriques dont chacun était suivi de calculs chiffrés. Quand il avait terminé l’une de ses opérations, il jetait un regard ardent sur les signes de l’horoscope, puis, secouant la tête, il recommençait.
Cela dura des heures.
Vers la fin, il écrivait avec une sorte de fièvre délirante. Une joie intense resplendissait sur son visage.
– J’y suis ! murmura-t-il tout à coup, voilà la constellation de l’homme qu’il me faut !… quel est cet homme ?… Oh ! je le trouverai ! Dussé-je passer
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