L'épopée d'amour
s’écria le vieux renard, trouver un mari digne d’elle. Mais je doute qu’il existe un homme digne de posséder une beauté aussi accomplie…
– Cet homme existe pourtant, dit simplement le maréchal.
Le vieux routier tressaillit… « Ouais ! songea-t-il, est-ce que le chevalier aurait raison ?
– Je connais, reprit le maréchal, un homme étrange qui apparaît comme un type achevé de bravoure et de finesse. Ce qu’on m’a raconté de lui, ce que j’en ai su par moi-même fait que je me le représente comme un de ces anciens paladins du temps du bon empereur Charlemagne.
C’est à cet homme, mon cher monsieur de Pardaillan, que je destine ma fille. Nul ne sera plus digne de posséder un pareil trésor…
– Excusez ma hardiesse, monseigneur, mais le portrait que vous venez de tracer est si beau que j’éprouve un impérieux désir de connaître un tel homme. Serais-je très indiscret si je vous demandais son nom ?
– Nullement. Je vous ai, à vous et à votre fils, de telles obligations, que je ne veux rien vous cacher de mes chagrins et de mes joies. Vous le verrez, monsieur, car j’espère bien que vous assisterez au mariage de Loïse…
– Et il s’appelle ? demanda Pardaillan en mordant sa moustache.
– Le comte de Margency, répondit le maréchal en fixant son regard sur le vieux routier.
Celui-ci chancela. Il avait reçu le coup en plein cœur.
Il balbutia quelques mots, et tout étourdi, atterré, prit congé du maréchal et rejoignit son fils.
– Je viens de parler à M. le maréchal, dit-il.
– Ah !… Et vous lui avez dit ?
– Je lui ai demandé à qui il comptait donner Loïse en mariage. Tiens-toi bien, chevalier. Le fer chaud dans une plaie vaut mieux que l’onguent. Tu n’auras jamais la petite. Elle est destinée à un certain comte de Margency.
– Ah ! fit de nouveau le chevalier sans pâlir. Et connaissez-vous cet homme ? Mais qu’importe, après tout…
– Je connais Margency, dit le vieux Pardaillan. C’est un beau comté. Enclavé dans les domaines de Montmorency, il avait été pour ainsi dire dépecé, et il n’en restait plus qu’un pauvre reste qui a appartenu à la famille de Piennes jusqu’au moment où le connétable s’en est emparé. Sans aucun doute, le comté a été reconstitué ; quelque hobereau l’aura acheté pour avoir titre de comte. Quant à l’homme lui-même, je ne le connais pas.
– Peu importe, monsieur, dit paisiblement le chevalier.
Il y eut quelques minutes de silence, pendant lesquelles le vieux Pardaillan arpenta furieusement la pièce, tandis que le chevalier le regardait en souriant de son air figue et raisin.
– J’admire ton calme, éclata enfin le vieux routier. Comment ! c’est ainsi qu’on te traite, toi !… Et tu ne bondis pas ?…
– Mais, mon père, comment voulez-vous que je sois traité ? Le maréchal, pour quelques pauvres services que je lui ai rendus, m’offre une somptueuse hospitalité. Savez-vous où vous êtes ici ?
– Dans ton appartement, je pense !
– Certes. Eh bien ! cette chambre, mon père, est celle qui fut donnée au roi Henri II lorsqu’il vint faire visite au connétable. Depuis, nul n’avait couché dans ce lit. Quel honneur, monsieur, pour un gueux comme moi, qui erra d’auberge en auberge, et dormit souvent à la belle étoile.
Le sourire du chevalier devenait intense. Sa moustache se hérissait.
– Je vous dis que c’est à peine si j’ose dormir dans cette couche royale. Que pouvait faire de plus le maréchal ?
– C’est bon. Chevalier, nous allons partir d’ici tout aussitôt.
– Non, mon père.
– Tu dis : non ? Qui t’y retient maintenant ?
– Le maréchal compte sur nous pour l’escorter jusqu’à Montmorency. Nous l’escorterons, mon père. Et une fois qu’il sera en parfaite sûreté dans son castel, alors nous irons nous faire tuer dans quelque jolie entreprise, si toutefois vous me voulez faire l’honneur et la joie de trépasser en ma compagnie.
De par tous les diables ! pourquoi M. le maréchal n’appelle-t-il pas M. le comte de Margency pour l’escorter ?
– Sans doute, nous trouverons le comte en route, dit le chevalier toujours souriant. Mais lors même qu’il serait ici, je ne lui céderais pas le droit que j’ai conquis de mettre Loïse en sûreté. C’est à moi qu’elle fit appel, à moi seul. Je n’oublierai jamais cette minute. J’étais à mon observatoire de la
Devinière
… Tiens, à propos,
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