L'épopée d'amour
fille au maréchal ?
– Folie ! L’idée seule d’une telle demande lui ferait hausser les épaules de pitié !
– D’accord ! Mais enfin, l’as-tu demandée ?
– Vous savez bien que non !
– Eh bien, il faut la demander !
– Jamais ! Jamais !… Oh ! l’affront de me voir refuser !…
– Bon, c’est donc moi qui parlerai pour toi !
– Vous, monsieur !
– Moi ! Par Pilate, n’est-ce pas mon droit ? Je la demanderai, te dis-je ! Or, de deux choses l’une : ou tu es accepté…
Le chevalier fit un geste de violente dénégation.
– Ou tu es accepté, et tu fais aux Montmorency l’honneur d’entrer dans leur famille. Mort de tous les diables ! ton épée vaut la leur, et ton nom est sans tache… Je poursuis : ou tu es refusé, et alors seulement il sera temps de graisser nos bottes pour le grand voyage d’où on ne revient pas. Voyons, consens à vivre jusqu’à ce que le père de Loïse m’ait formellement dit : « Non ! »
– Soit, mon père ! dit le chevalier qui entrevit là un moyen de mourir seul et de ne pas entraîner son père à la mort.
– Monseigneur, dit alors le vieux Pardaillan en rejoignant le maréchal, nous venons, le chevalier et moi, de tenir conseil de guerre. Voici ce qui est décidé : Vous allez partir à l’instant. Nous demeurons ici jusqu’à ce que l’attaque soit avérée. Alors, nous partirons à notre tour.
– Je ne partirai pas d’ici sans vous, dit le maréchal d’une voix ferme. Et songez-y, chevalier, si vous ne consentez pas à me suivre dès la première attaque, vous exposez à une mort terrible ces deux innocentes créatures.
Le chevalier tressaillit.
– Nous partirons donc, dit-il.
– Il n’y a plus qu’à attendre, dit Pardaillan père.
L’attente ne fut pas longue. Vers cinq heures du matin, le vieux routier, demeuré en observation, à l’œil-de-Bœuf, vit un cavalier faire un signe à l’officier. Ce cavalier, bien qu’il fît chaud, était enveloppé d’un manteau qui le couvrait entièrement. En sorte que Pardaillan ne put le reconnaître.
Au signe de ce cavalier, l’officier commanda à ses hommes d’apprêter leurs armes.
Aussitôt les fenêtres voisines s’ouvrirent et une foule de têtes curieuses se montrèrent.
L’officier s’approcha, escorté d’un procureur tout vêtu de noir, lequel tirant un papier d’un étui, se mit à lire à haute et distincte voix :
« Au nom du roi :
Sont déclarés traîtres et rebelles les sieurs Pardaillan père et fils réfugiés en cette maison sous la caution de noble dame de Piennes ; est déclarée non avenue ladite caution, en ce que ladite dame ignorait les crimes précédemment commis par lesdits sieurs Pardaillan ;
Enjoignons audits sieurs de se rendre à discrétion pour être menés au Temple [6] et de là être jugés pour crime de félonie et de lèse-majesté ; plus incendie volontaire d’une maison : plus rébellion à main armée ;
Enjoignons aux officiers du guet royal de s’emparer de la personne des deux rebelles pour amener lesdites personnes, pieds et poings liés en tel lieu que nous, Jules-Henri Percegrain, procureur au Châtelet [7] nous désignerons, savoir : pour le moment, la prison royale du Temple.
Enjoignons auxdits officiers de les prendre morts s’ils ne peuvent les prendre vifs, afin que leurs cadavres soient pendus après une bonne estrapade et exposés en exemple au grand gibet de la place de Grève, aux yeux de tous loyaux et fidèles sujets de Sa Majesté.
Et nous, Jules-Henri Percegrain, déclarons avoir ainsi parlé à haute voix auxdits rebelles, et déclarons leur avoir, par dernière indulgence, accordé une heure de réflexion.
En foi de quoi nous avons signé et remis les présentes réquisitions à gentilhomme Guillaume Mercier, baron du Teil, lieutenant à la compagnie des arquebusiers du roi. »
L’homme noir remit son papier à l’officier et se retira près du cavalier au manteau, qui demeura immobile.
L’heure de grâce accordée aux rebelles s’écoula promptement.
La rue s’était remplie de monde ; les curieux se haussaient sur la pointe des pieds pour voir si on prendrait les rebelles tout vifs ou si on les prendrait morts. Et il faut dire que la plupart souhaitaient qu’on les prît morts ; en effet, il y avait à cela double spectacle, double plaisir : d’abord, cela supposait une bataille ; et ensuite, les cadavres devaient être exposés au gibet.
L’heure étant
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