L'épopée d'amour
et attendez-nous !…
Le chevalier, le pauvre hère, le gueux jetait des ordres, François de Montmorency, maréchal de France, obéissait.
Et cela leur semblait à tous deux naturel, comme certaines choses exorbitantes deviennent naturelles dans les rêves !…
Car c’était un rêve !…
Rêve de sang, de carnage, d’incendie. Rêve d’amour ! Bouleversement inouï de toutes choses !…
Ils ne vivaient plus, ils rêvaient !….
La voiture, déjà, traversait le jardin, gagnait la porte que le maréchal ouvrait.
Le chevalier se précipitait vers la grande salle d’honneur.
Dans la cour de l’hôtel s’élevaient d’effroyables clameurs… Damville revenait à la charge !…
– Mon père ! Mon père ! Mon père ! hurla Pardaillan qui se rua en avant…
A l’instant où le chevalier allait mettre le pied dans la salle qu’il lui fallait traverser pour rejoindre la cour intérieure de l’hôtel, une explosion terrible fit entendre son tonnerre qui, pour une seconde, étouffa l’immense rumeur des cloches, des plaintes et des hurlements de mort…
La terre trembla.
Une flamme écarlate fusa très haut dans le ciel, puis s’affaissa, se replia sur elle-même comme un rideau qui tombe…
Un nuage opaque de fumée couvrit cette scène effrayante…
L’hôtel Montmorency vacilla, s’entrouvrit, s’écroula dans un fracas de cataclysme.
La violente poussée de l’air fit reculer de dix pas le chevalier.
Mais il ne tomba pas ! Il ne voulut pas tomber !
Les coudes au corps, la tête baissée, les talons incrustés au sol, il dut apparaître, pareil à l’un de ces titans vaincus qui menaçaient encore l’Olympe, alors que les dieux, à coups de foudre, venaient de détruire l’entassement d’Ossa sur Pélion…
Et ce fut ce recul qui le sauva malgré lui.
La pluie de pierres, noires de poudre, ne l’atteignit pas…
Dans cette seconde épique où farouche, convulsé, pétrifié, il lutta contre l’ouragan déchaîné par l’explosion, où, quand même, il demeura debout, une sorte de passage s’entrouvrit devant ses yeux flamboyants…
Passage hérissé de poutres calcinées, de pierres fumantes, de plâtras, passage d’où sortaient de lourdes volutes fuligineuses, passage d’enfer que bordaient à droite et à gauche des pans de murs à demi détruits : c’était tout ce qui restait de l’hôtel Montmorency !…
Et cela brûlait !…
L’incendie allumé par l’explosion achevait l’œuvre dévastatrice…
– Mon père ! Mon père ! râla le chevalier. Où est mon père ?…
Où était le vieux routier ? Que faisait-il ? Son cadavre déchiqueté achevait-il de se calciner sous les décombres de l’hôtel ?…
Voici :
Tandis que le chevalier entraînait Montmorency, Jeanne de Piennes et Loïse vers les jardins, le vieux Pardaillan s’était avancé vers la cour en criant :
– Je me charge de les amuser une minute !
Par un étrange revirement de son esprit, le vieux routier avait reconquis tout son calme. Peut-être avait-il franchi les dernières limites de l’exaltation. Il y a, en de certaines minutes tragiques, des préoccupations bizarres qui hantent la cervelle. Dans une catastrophe de chemin de fer, un jour, un homme qui avait les deux jambes broyées, cherchait fébrilement si sa pipe n’était pas brisée. Sur un steamer qui sombrait, on raconte qu’une femme, à l’instant suprême, s’occupait seulement de ne pas mouiller sa mantille. Esprits détraqués par l’épouvante. La pensée du vieux Pardaillan s’était-elle détraquée, elle aussi ? Non : il était allé plus loin que l’horreur, plus haut que toute exaltation, et, très calme, grommelait :
– C’est tout de même exorbitant que cela me tarabuste ainsi !… Il faut que j’en aie le cœur net !
De quoi s’agissait-il ? Du papier qu’il avait pris à Bême.
Qu’était-ce que ce papier ? Par trois ou quatre fois, il avait voulu y regarder. Toujours quelque nouvel incident l’en avait empêché : il n’y tenait plus. Il le prit, l’ouvrit, le parcourut rapidement.
– Sauf-conduit pour toute porte de Paris valable ce jourd’hui, 23 août et jusque dans trois jours. – Laissez passer le porteur des présentes et les personnes qui l’accompagneront. Service du roi.
C’était signé : Charles, roi. Le cachet aux armes de France faisait une tache rouge dans un coin.
Le vieux routier, simplement, poussa un soupir de soulagement. Il savait enfin !
Weitere Kostenlose Bücher