L'épopée d'amour
prenez garde que je ne me trompe sur le sens de ce mot !… Maréchal ! Maréchal de Montmorency ! Vous m’appelez votre fils… moi !…
Le maréchal comprit l’angoisse qui montait dans ce cœur de lion.
Il se tourna vers sa fille et dit :
– Réponds, Loïse !…
Loïse devint très pâle. Ses yeux se remplirent de larmes. Puis une étrange expression de souveraine gravité s’étendit sur ce fin visage de vierge. Elle ouvrit les bras et, d’une voix qui tremblait légèrement, elle dit :
– Mon époux… soyez le bienvenu dans la maison de mes pères… ta maison, ô mon époux !…
Le chevalier chancela, s’abattit sur ses genoux, son front s’inclina sur les deux mains de Loïse, et il se prit à pleurer…
– Pardieu ! s’écria le vieux routier. Je te disais bien qu’elle ne pouvait être qu’à toi ! Tu l’as conquise le fer à la main !
Mais Loïse secoua la tête. Son pur regard évoqua une seconde des choses dont elle gardait le souvenir au fond de son cœur et elle murmura :
– Non, non… je l’aimais avant !… Là-bas… la petite fenêtre du grenier… c’est là qu’il m’a conquise… par son regard… par l’amour !…
Comme les paroles sont lentes ! Et que valent les descriptions en de tels moments !… Dans l’intense émotion qui les faisait palpiter, cette scène n’avait duré que quelques secondes. Ce fut un cri, un geste d’éclair, une explosion d’amour. Ce fut, dans le cadre tragique de l’hôtel fumant, parmi les ruines, dans la vaste et funèbre rumeur de mort qui emplissait Paris, au son du tocsin de toutes les églises, au bruit sourd des détonations et des arquebusades, tandis que le ciel noir de fumée se nuançait des tons écarlates des incendies et des bûchers, ce fut, dans cette minute épique, dans ce décor prodigieux, l’enlacement suprême de deux âmes qui, depuis des temps, allaient l’une vers l’autre !…
Cela dura deux ou trois secondes.
Loïse, dégageant ses mains, alla au vieux routier, lui mit ses bras autour du cou, et comme le maréchal, avait dit « mon fils » au chevalier, elle dit :
– Mon père !…
La rude moustache du routier trembla. D’un geste brusque, il écrasa quelque chose au coin de sa paupière.
Puis il saisit Loïse à pleins bras, l’enleva et cria :
– Vive Dieu ! La jolie fille que j’ai là !… Savez-vous, ma mignonne, que je vous ai portée dans mes bras, jadis, et que, pendant deux heures, vous avez dormi dans le même berceau que…
Une rumeur qui venait de la rue l’arrêta court.
Hérissés, les deux Pardaillan bondirent vers le perron.
– Alerte ! alerte ! Par l’enfer ! tonna le vieux.
– Ah ! tonna le chevalier, je défie maintenant l’enfer et le ciel !
Près de la grande porte démantelée, les visages des tigres de Damville se montraient : visages inquiets, démarches louches de gens qui s’avancent pas à pas, physionomies chargées de rage et d’épouvante.
– Va ! dit le vieux routier. Je me charge de les amuser quelques minutes. Va donc, par le tonnerre du ciel !…
Le chevalier courut au maréchal.
Le routier s’avança sur le perron.
Haletante, à mots hachés, eut lieu le suprême conciliabule :
– Maréchal, qu’y a-t-il par là ?
– Les jardins, les communs, mon fils…
– Au-delà des jardins ?
– Des ruelles aboutissant à la Seine…
– Y a-t-il une voiture ? N’importe quoi, dans les communs ?…
– Une chaise de voyage…
– En route ! hurla le chevalier.
– Je vous rejoins ! cria le vieux routier.
Le maréchal saisit Jeanne de Piennes dans ses bras. Le chevalier enleva Loïse comme une plume ; elle laissa tomber sa tête sur son épaule ; il fut secoué d’un frisson convulsif et s’élança.
L’instant d’après, ils étaient dans les jardins. Pénétrer dans la grande remise, traîner dehors une voiture fermée qui s’y trouvait, atteler deux chevaux à la voiture fut pour les deux hommes l’affaire de deux minutes. Jeanne de Piennes et Loïse furent déposées, jetées, pourrait-on dire, sur les banquettes.
– En conducteur, maréchal ! commanda Pardaillan. Le maréchal sauta sur l’un des deux chevaux.
Le chevalier bondit dans l’écurie, en tira un cheval qu’il ne sella même pas, lui jetant simplement un bridon à la bouche. Il remit le bridon au maréchal :
– Où est la porte, mon père ?…
– Là !… Voyez, mon fils !…
– Allez !… Je vous suis !… Ouvrez,
Weitere Kostenlose Bücher