L'épopée d'amour
Il replia le papier, le mit dans sa poche, et murmura :
– Tiens, tiens !… Ce bon monsieur… dont je ne sais pas le nom, avec son épieu au travers du corps… mais c’était un homme précieux.
Il descendait le perron, le terrible perron où Montmorency avait tenu tête à la meute.
Voyait-il seulement les reîtres de Damville qui, un à un, s’approchaient, avec des faces inquiètes et sombres ?… S’il les voyait, il ne s’en préoccupa point. Il alla droit au tombereau de poudre laissé dans la cour au milieu de la rue. Il y avait dans ce tombereau vingt barils de poudre.
Le vieux Pardaillan se mit tranquillement à les décharger.
A ce moment, un coup d’arquebuse retentit : l’un des reîtres venait de tirer sur lui et l’avait manqué.
Le routier grommela :
– C’est imbécile de n’avoir pas lu ce papier plus tôt. Comment le faire parvenir au chevalier, maintenant ?
Et il continua sa besogne, sans hâte apparente, sans déploiement de force visible, mais en réalité avec le prodigieux effort de tous ses muscles tendus, avec la rapidité foudroyante d’une machine en mouvement.
L’un après l’autre, il transportait les barils dans la salle d’honneur.
D’instant en instant, le nombre de ces figures louches qu’il avait remarquées augmentait ; les reîtres n’osaient pas encore pénétrer dans la cour, se demandant quelle catastrophe nouvelle s’abattrait sur eux dès qu’ils y auraient mis le pied, mais à chacune de ces apparitions, l’enragé travailleur recevait une volée de plomb. Pour arriver jusqu’au tombereau, il rampait, bondissait parmi les cadavres ; à l’un de ces voyages, il saisit un cadavre et s’en fit un bouclier pour marcher jusqu’à la lourde charrette dont les chevaux, criblés de balles, gisaient sur le pavé.
Le vieux Pardaillan en était à son seizième baril.
Il les entassait méthodiquement, et, dès le transport du premier, il l’avait éventré d’un coup de dague, et avait répandu de la poudre sur une longueur de quinze pas environ.
Il en était à son seizième baril.
Ruisselant de sueur, les mains en sang, les ongles déchirés, livide de son titanesque effort, sous la couche de poussière qui lui noircissait le visage, il reparut sur le perron pour aller chercher le dix-septième baril…
Il vit la cour pleine de furieux qui se ruaient vers le perron…
– A mort ! à mort ! rugit Damville qui poussait ses reîtres.
– Mais il me reste quatre barils à prendre ! hurla le vieux Pardaillan.
En même temps, il bondit en arrière, sa moustache se hérissa, un sourire terrible et mélancolique détendit ses lèvres et il ricana :
– Tant pis ! Avec seize, nous ferons l’affaire… Adieu, chevalier !… Adieu, Loïse, Loïsette, Loïson ! Pensez à moi quelquefois !
Il tira le pistolet qu’il avait à la ceinture et, au moment où la horde envahissait la salle d’honneur, murmura :
– Je crois, mes agneaux, qu’entre vous et le chevalier, je vais dresser une barricade un peu soignée !
Il fit feu !
Il fit feu sur la poudre !…
La poudre s’enflamma, commença à pétiller !…
A ce moment la voix du chevalier, pantelante, parvint jusqu’au routier.
– L’animal ! tonna le vieux Pardaillan, il n’aura jamais voulu m’écouter !… Arrière ! Fuis ! par le tonnerre de Dieu !…
Les assaillants à la vue des barils entassés, de la traînée de poudre qui crépitait, essayèrent de fuir, jetant des imprécations sauvages, des râles d’épouvante. Le vieux titan fit un bond terrible vers une porte de dégagement… Trop tard !…
La formidable explosion retentit.
L’hôtel s’écroula dans un fracas d’enfer, ensevelissant deux cents des assaillants sous ses décombres fumants.
Damville avait pu fuir à temps, lui !
Et de la rue, fou de rage, livide d’épouvante, hagard, hébété, il contemplait la destruction des derniers restes de son armée de cinq cents reîtres, gentilshommes, et gens d’armes !…
Son armée, arrêtée d’abord, mise en déroute ensuite, détruite enfin !… Et par qui !… Par deux hommes !…
Lorsque la haute flamme de l’explosion se fut affaissée, lorsqu’il n’y eut plus que cadavres déchiquetés, ruines fumantes, la foule énorme du peuple furieux qui entourait Damville l’entendit pousser une horrible imprécation de désespoir.
Puis il râla :
– Oh ! les démons ! les démons de l’enfer !
Et il s’évanouit :
Il n’y
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