L'épopée d'amour
ses interlocuteurs, devenait aveugle dès qu’on la flattait dans son amour pour Henri d’Anjou.
Elle reprit après une minute de réflexion :
– Puisque vous voulez servir le roi, je veux vous donner une preuve de mon amitié en vous disant quels sont ses ennemis…
– J’écoute Votre Majesté, tout prêt à renfermer dans mon cœur comme au fond d’une tombe les secrets qu’elle daignera me confier.
– Je connais votre discrétion… Mais est-ce bien un secret pour vous ? Ne vous doutez-vous pas un peu de quels ennemis je veux parler ?
– Serait-ce de M. le duc de Guise ?
L’œil de la reine flamboya. Mais cet éclair s’éteignit aussitôt.
– Guise ? fit-elle. Oh ! non… le duc nous est tout dévoué… et il nous est uni par les liens de la religion.
– Alors, Votre Majesté veut parler du maréchal de Damville.
– Damville, à qui nous avons donné le gouvernement de la Guyenne, est un de nos plus féaux amis…
– Alors, fit Maurevert, il s’agit de celui qu’on appelle le chef des Politiques, ramassis de mécontents, mauvais serviteurs de l’Eglise, qui sous une apparence d’austérité cachent les plus basses ambitions. Et ce chef…
– Montmorency ! dit la reine. Cette fois, c’est bien un ennemi que vous désignez. Mais nous en parlerons plus tard.
– Alors, reprit Maurevert impénétrable, je ne vois pas…
– Songez que le roi, c’est le fils aîné de l’Eglise.
– Votre Majesté veut parler des huguenots ! s’écria le bravo avec une surprise parfaitement jouée. Mais le roi lui-même n’a-t-il pas proclamé la grande réconciliation ? Votre Majesté elle-même n’a-t-elle pas donné l’accolade à la reine de Navarre ?
– Eh bien, oui ! Mais malgré toutes nos avances, malgré la sincérité de nos offres, les huguenots conspirent. Ils sont insatiables. Ils accourent à Paris de tous les points du royaume. Ils nous écrasent, ils nous submergent ! Le vieux La Garde vide nos arsenaux pour armer les troupes de M. de Coligny, sous prétexte d’aller faire la guerre au duc d’Albe [9] , mais en réalité pour l’accomplissement de je ne sais quels ténébreux projets. Ah ! Maurevert, je tremble pour mon fils !…
– Pourquoi Votre Majesté ne fait-elle pas arrêter l’amiral ! L’armée huguenote, une fois décapitée…
– Trop tard, mon bon Maurevert, trop tard ! fit Catherine avec un désespoir qui ne parvint pas à tromper le bravo. Arrêter l’amiral ! Qui donc oserait maintenant se charger d’une telle besogne ?…
– Moi ! fit Maurevert.
– Vous !…
– Pourquoi pas ? Que le roi m’en signe l’ordre, et dès ce soir, en pleine fête, j’arrête Coligny.
– Quel scandale !… Non, non, c’est impossible !… Ah ! je suis une reine bien malheureuse !… Ah ! si le ciel pouvait donc une fois exaucer ma prière ! Le roi serait sauvé, et avec le roi, le royaume et l’Eglise… Mais le ciel est sourd par moments, ou du moins il nous veut imposer de dures épreuves… Sans cela, une bonne fièvre quartaine [10] nous délivrerait de Coligny, et il n’y aurait pas de scandale… vous comprenez…
Maurevert suivait avec une attention soutenue les paroles de la reine et les jeux de physionomie qui accompagnaient ces paroles.
– Hélas ! reprit Catherine, nous en serons réduits à subir la loi des hérétiques et à entendre la messe en français ! car d’espérer que le ciel enverra à l’amiral la fièvre qui nous sauverait tous, et qui vous enrichirait, mon bon monsieur de Maurevert, d’espérer cela, il n’y faut pas songer… L’amiral se porte bien, hélas !… et sauf accident…
La reine s’arrêta sur ce mot. Maurevert sourit.
« Allons donc,
briccone
! » songea Catherine en voyant ce sourire.
Mais Maurevert voulait des ordres positifs. Il avait d’ailleurs compris depuis longtemps.
– Un accident ! fit-il machinalement.
– Eh oui ! dit la reine. Une tuile ne peut-elle pas tomber sur la tête de l’amiral ?
– Hum ! Il faudrait que cette tuile fût douée d’un dévouement…
– Qui coûterait cher, n’est-ce pas ?… Parlez sans crainte, mon cher monsieur de Maurevert. Que faudrait-il pour donner de l’intelligence et du dévouement à cette tuile ?
– Je l’ignore, madame. Mais à défaut de la tuile, je connais quelque part une bonne arquebuse qui, placée dans les mains d’un de mes amis, serait parfaitement capable de cette intelligence et de ce dévouement
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