L'épopée d'amour
Par moment, un frisson le secouait.
– Charles, continua la reine. Ecoutez-moi. Vous savez avec quelle joie j’ai poussé à la paix ; vous savez que moi-même je me suis humiliée devant l’orgueilleuse Jeanne d’Albret. Vous savez que j’ai été jusqu’à imaginer le mariage de ma propre fille avec Henri de Béarn. C’est que, moi aussi, j’étais aveugle ! Je croyais alors que la paix était possible entre huguenots et catholiques. La paix avec les huguenots ? Délire ! Rêve insensé ! Il faut que l’hérésie ou l’Eglise triomphe ou meure ! Il n’y a pas de place pour ces deux forces, et le monde, sire, est trop étroit pour les contenir ! L’une des deux doit disparaître, et comme il est impossible que l’Eglise succombe, que Rome disparaisse et que Dieu meure, c’est l’hérésie qu’il faut tuer !… Malheur à ceux qui soutiendront l’hérésie ! Ils périront avec elle !…
– Madame !… Vous m’épouvantez !… Il est impossible que les choses en soient là parce que j’ai eu horreur de tout le sang qui se versait !
– Impossible ? N’avez-vous pas lu les lettres que les ambassadeurs de tous les Etats nous apportent ? Que nous dit le roi d’Espagne ?… Qu’il prépare une armée pour rétablir le règne de Dieu compromis par notre faiblesse !
– Je ferai la guerre à l’Espagnol ! dit Charles en se raidissant.
– Insensé ! Que nous dit Venise ? que nous disent Parme et Mantoue ? Que nous disent les Etats de l’Empire ? Tous, tous, du nord au sud, du levant au couchant, tous nous blâment, tous nous menacent !
– Je tiendrai tête à l’Europe, s’il le faut !…
Et Charles essuya la sueur qui coulait à flots de son front.
– Tiendrez-vous tête au Souverain Pontife ? gronda Catherine. Vous relèverez-vous de l’excommunication dont il vous menace ?
– Par l’enfer, madame ! Le pape est le pape, et moi, je suis le roi de France !…
Et cramponné à la balustrade, Charles se raidit davantage.
– Silence ! dit-il. Je veux qu’on se taise autour de moi ! J’ai décidé la paix, et la paix se fera dans mon royaume ! S’il faut faire la guerre à l’Espagne, à l’Empire, au pape lui-même, je ferai la guerre !
– Avec quoi ! dit Catherine d’une voix glaciale.
– Avec mes armées, avec ma noblesse, avec mon peuple !…
– Votre peuple !… Venez, sire ! Et vous allez entendre ce qu’il veut. Car la puissance royale est à ce point compromise par mes rêves de paix et les vôtres que le peuple a maintenant une volonté.
En même temps, la reine saisit la main de son fils avec un geste d’irrésistible autorité, et l’entraînant, elle lui fit traverser plusieurs pièces. En bas, on entendait le bruit de la fête, le son des violons marquant la cadence des danses lentes.
Catherine s’arrêta dans une grande salle qui donnait sur le côté du Louvre opposé à la Seine.
– Vous parlez de votre noblesse, dit-elle alors. Sur qui compterez-vous ? Sur un Guise qui fomente je ne sais quoi dans l’ombre ? Sur un Montmorency qui s’enferme dans son hôtel pour y donner refuge aux rebelles ?
– Mordieu ! madame, de quels rebelles parlez-vous ?
– De ces deux aventuriers qui, en plein Paris, ont tenu tête à vos gentilshommes et à votre guet, et qui, en plein Louvre, nous ont insultés, vous et moi. De ces deux Pardaillan, spadassins et truands sans vergogne, qui résistent au roi de France et que le roi de France ne peut faire arrêter !
– Et vous dites que Montmorency leur donne asile ?
– Oui, sire. Et toute votre noblesse en est à ce point de révolte ouverte… Quant au peuple, écoutez…
Catherine entraîna le roi dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte, et Charles, se penchant, vit au-delà des fossés du Louvre, la foule énorme qui se pressait et hurlait :
– Vive la messe ! Mort aux huguenots !…
Mais ces cris eux-mêmes étaient dominés et couverts par une clameur plus forte, plus volontaire, comme organisée :
– Vive Guise ! Vive notre capitaine-général !…
Charles choqua violemment ses mains l’une contre l’autre et, se tournant vers la reine-mère :
– Que signifie ?… Qui est capitaine-général ?
– Votre peuple vous le dit, sire : c’est Henri de Guise !
– Et de quoi est-il capitaine-général ?
– Des troupes catholiques, sire !
– Or ça, madame, perdons-nous le sens ?… Où donc sont ces troupes catholiques ? Et qui les a
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