L'épopée d'amour
adversaire.
En quelques instants il eut repris tout son sang-froid. Et alors, la colère commença à bouillonner en lui. Il jeta un sombre regard sur le vieux routier qui, dans ce regard, put lire sa condamnation.
Il fit un pas comme pour se diriger vers celle des portes derrière laquelle se trouvaient Orthès et ses arquebuses.
Mais se ravisant soudain, il se retourna vers Pardaillan.
– Voyons, dit-il brusquement, si je vous offrais la paix ?
Pardaillan se leva, s’inclina et demanda :
– Vos conditions, monseigneur ?
– Simplement de ne pas me gêner dans ce que je vais entreprendre : vous et votre fils, vous sortirez de l’hôtel de Montmorency ; vous vous en irez de Paris, au diable si vous voulez. Je vous ferai remettre deux bons chevaux tout harnachés ; dans la sacoche de chacun des chevaux il y aura deux mille écus. Avec une pareille somme, avec votre esprit et votre bravoure, vous pourrez n’importe où entreprendre de faire fortune, et vous réussirez.
Pardaillan, la tête baissée, paraissait réfléchir profondément.
– Songez-y, reprit le maréchal. Vous m’avez désarmé par votre fidélité à garder un secret que bien d’autres eussent vendu. Je suis donc disposé à vous être aussi agréable que je le pourrai. Vos insultes, je les oublie. Vos petites trahisons, je les efface. A vous comme au chevalier, je veux le plus grand bien possible. Je respecte vos idées particulières jusqu’à ne pas vous proposer de rentrer à mon service. Je ne veux même pas me souvenir que vous vous êtes introduit dans cet hôtel pour me tuer. Je vous dis : Pardaillan, ne soyons ni amis, ni ennemis, soyons neutres.
Pardaillan soupira…
– Vous êtes mon prisonnier de guerre, poursuivit Damville. Si fort et si brave que vous soyez, vous ne pouvez lutter contre ces arquebuses, ces hallebardes et ces bonnes épées qui vous cernent ; il n’y a pas de fuite possible : vous êtes pris, mon cher. Eh bien, acceptez ce que je vous propose, et vous êtes libre.
– Et si j’acceptais, dit enfin le vieux Pardaillan, comment vous y prendriez-vous, monseigneur ? Car je vous sais défiant ; sur ma simple parole, vous ne m’ouvririez pas les portes de votre hôtel.
Un éclair de joie aussitôt éteint flamboya dans les yeux du maréchal, qui répondit :
– Je ne prendrai que les précautions indispensables ; vous allez écrire une lettre au chevalier, assez pressante pour qu’il vienne vous retrouver ici. Un de ces gentilshommes portera cette lettre. Lorsque le chevalier sera ici, lorsque vous m’aurez tous deux donné votre parole de ne pas revenir à Paris avant trois mois, je vous escorterai moi-même avec quelques amis jusqu’à telle porte de Paris que vous me désignerez, et je vous souhaiterai un bon voyage.
– Honneur dont je vous serai éternellement reconnaissant, monseigneur !
– Vous acceptez, n’est-ce pas ? fit Damville en frémissant.
– Certes, monseigneur ! Avec joie ! Avec gratitude ! Et tant que je vivrai, je ne me lasserai pas d’admirer votre générosité !
– Ecrivez donc, alors ! gronda le maréchal qui se précipitant vers un meuble, en tira une écritoire et du papier.
Pardaillan ne bougea pas ; un nouveau soupir gonfla sa poitrine.
– Un mot, dit-il. J’accepte. Mais malheureusement, je ne puis accepter que pour moi seul.
– Ecrivez toujours ! Je me charge de convaincre le chevalier ! rugit le maréchal, incapable de contenir son impatience haineuse.
– Attendez donc, monseigneur. Je connais mon fils. Vous n’avez pas idée de sa méfiance. Je n’ai jamais vu pareil mépris pour les promesses des rois, des princes et des maréchaux. Il se méfie de moi. Il se méfie de lui-même. Il se méfie de l’ombre qui suit ses pas. Il se méfie du vent qui passe. Il se méfie de tous les hommes, de toutes les femmes… j’en suis honteux pour lui. Oui, monseigneur, plus d’une fois j’ai rougi de le voir si méfiant, alors que j’ai, moi, un respect sans bornes et une foi immense dans les paroles d’un personnage tel que vous.
– Que signifie ? gronda le maréchal.
– Cela signifie, monseigneur, qu’en lisant ma lettre, mon fils se mettrait à rire et s’écrierait : « Comment ! mon digne père est prisonnier du maréchal de Damville et il veut que je l’aille rejoindre, sous prétexte qu’il a fait la paix avec monseigneur ! Allons donc ! Vous êtes fou, mon père ! Est-ce que vous ne savez pas que M. de Damville est un
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