L'épopée d'amour
fourbe, un félon – c’est mon fils qui parle, monseigneur ! – un être pétri de ruse qui voudrait nous tenir tous les deux et nous occire ensemble ?… Mais sa ruse est par trop grossière. Je suis jeune et veux vivre. Quant à vous, mon père, qui avez assez vécu, mourez, mourez tout seul, puisque vous avez eu la sottise d’aller vous fourrer dans la gueule du loup !… » Voilà ce que dirait le chevalier en recevant ma lettre, il me semble l’entendre éclater de rire… Ah ! la méfiance, monseigneur, c’est un bien triste défaut…
Et Pardaillan ponctua ce discours d’un troisième soupir plus profond et plus contrit que les deux premiers.
– Ainsi, fit Damville, les dents serrées, vous n’écrivez pas ?…
– Cela ne servirait à rien, monseigneur. Et puis, tenez, admettons que par impossible, mon fils se décide à me rejoindre. Savez-vous ce qui arriverait ?
– Voyons !
– Le chevalier n’est pas seulement l’homme le plus méfiant de la terre, il est têtu, monseigneur, à tel point qu’il l’est presque autant que vous. Il s’est logé dans la tête d’arracher de vos griffes la dame de Piennes, sa fille et monseigneur votre frère. Rien ne l’en fera démordre. Moi, vous comprenez, j’accepte avec reconnaissance votre honorable proposition. Mais lui… Ah ! j’en frémis. Il me semble entendre sa voix qui égratigne, qui mord sans avoir l’air de le faire exprès. Et savez-vous ce qu’il me dirait ?…
– Voyons ! répéta le maréchal qui devenait livide.
Pardaillan se campa devant Damville, la main à la garde de sa rapière, le buste droit.
– Il nous dirait ceci, monseigneur : « Ainsi, donc, mon père, et vous, monsieur le duc, vous osez me proposer cette vilenie ! Fi donc, messieurs ! Pour quatre mille écus et deux chevaux tout harnachés, vous me voulez déshonorer ! Eussiez-vous mille chevaux tout harnachés d’or, eussiez-vous à m’offrir quatre mille sacs contenant chacun quatre mille écus, que l’insulte n’en serait que plus forte. Quoi ! Il y a donc deux hommes au monde qui ont pu croire que le chevalier de Pardaillan pouvait vendre l’épée qu’il tient de son père et, abandonnant deux malheureuses femmes qu’il a juré de sauver, se mettre soi-même au rang des lâches et des félons ! Ah ! mon père, je ne me relèverai pas de l’offense que vous me faites. Revenez à une plus haute et plus digne estime de ce que vous devez à vous-même et laissez la honte de ces propositions à M. le duc de Damville qui, lui, a l’habitude de la félonie et de la trahison. »
Le vieux routier, plus droit que jamais, étendit le doigt vers le maréchal jusqu’à le toucher presque.
– Misérable ! rugit Damville.
– Un dernier mot, monseigneur ! Un seul ! Outre les défauts que je viens de vous signaler, le chevalier a encore celui de m’aimer tel que je suis, au point de m’aimer même plus que son honneur. Il me sait ici ! S’il ne me revoit pas au petit jour, il est capable d’aller raconter au roi que vous le trahissez pour Guise… oui, dans son désespoir, il est capable de cela ! Quitte à se tuer ensuite pour se punir d’avoir fait acte de dénonciateur !
Le maréchal qui déjà s’élançait, s’arrêta comme frappé de la foudre, blême, écumant, terrible. Pardaillan sourit dans sa moustache et murmura :
– Pare celle-là, si tu peux !…
Mais dans l’esprit du maréchal, affolé par les paroles du vieux routier comme le taureau peut l’être par les banderilles, la fureur et la haine l’emportèrent sur l’épouvante.
– Eh bien, soit ! hurla-t-il. J’en courrai le risque ! A moi ! A moi, tous !…
Pardaillan, d’un geste foudroyant, tira sa dague et bondit sur le maréchal.
– C’est donc toi qui mourras le premier ! rugit-il.
Mais Damville avait vu venir le coup. Au moment où le poignard s’abattait sur lui, il se laissa tomber à plat sur le tapis. Pardaillan, emporté par l’élan, trébucha ; au même instant la pièce se remplissait de monde, se hérissait de hallebardes et d’épées.
Hagard, le vieux routier voulut alors tirer sa rapière pour mourir au moins en se défendant : vaine tentative ! saisi de tous les côtés à la fois, maintenu par vingt bras, il fut en un instant bâillonné, désarmé, ligoté.
Alors, il ferma les yeux et se raidit dans une immobilité farouche.
– Monseigneur, dit Orthès, où faut-il pendre ce truand ?
– Le pendre ! fit
Weitere Kostenlose Bücher