L'épopée d'amour
ensanglantés tombaient autour de lui ; des hurlements effroyables, tout autour, éclataient dans la foule, tandis que le groupe frénétique attaché à lui luttait dans un silence farouche.
Presque assommé, du sang plein le visage et la bouche, Pardaillan, formidable, secouait la grappe humaine, comme le sanglier enfin coiffé peut secouer la meute.
Il soufflait d’un souffle rauque et bref.
Un brouillard flottait devant ses yeux. Il ne songeait plus à rien… à rien qu’à atteindre Maurevert qui, à dix pas, commandait la manœuvre, à le saisir, à l’étrangler avant de mourir.
Une clameur plus terrible retentit soudain :
Le chevalier venait de tomber une dernière fois et ne se relevait plus : à chacune de ses jambes, à chacun de ses bras, à sa poitrine, deux hommes, trois, quatre, toute une foule pesait.
Il ne remuait plus.
– Des cordes ! vociféra alors Maurevert.
Quelques secondes plus tard, Pardaillan, solidement lié, était emporté dans le couvent ; sur la chaussée, une dizaine de blessés étanchaient leur sang.
Et la foule, saisissant Lubin, le soulevait, transportée du délire des miracles, le portait en triomphe et l’acclamait. C’était le saint qui avait arrêté l’hérétique ! C’était le saint qui, rien qu’en l’enlaçant de ses bras, lui avait ôté sa force !
Le bruit de ces prodiges se propagea aussitôt ; toute la soirée, et jusqu’a une heure avancée de la nuit, des foules vinrent s’agenouiller devant le couvent et réclamaient la bénédiction du saint moine qui avait vengé Dieu d’avoir été bouilli.
D’heure en heure, Lubin se montrait et bénissait le peuple…
Maurevert était entré dans le couvent, et avait eu une assez longue conférence avec le prieur. A la suite de cette conférence, il s’était fait conduire dans la cellule où le comte de Marillac avait été enfermé. Il portait sous son bras l’épée du comte.
– Monsieur, dit-il en entrant, vous êtes libre, voici votre épée.
Marillac ne témoigna ni joie ni surprise. Il saisit froidement la lame qu’on lui tendait et la remit au fourreau.
– Monsieur de Maurevert, dit-il, j’espère que nous nous retrouverons, dans des conditions meilleures, c’est-à-dire à un moment où vous n’aurez pas pris la précaution de vous entourer de vingt spadassins pour attaquer deux hommes.
– Monsieur le comte, nous nous retrouverons quand il vous plaira, dit Maurevert en grondant.
– Après-demain matin, voulez-vous ?
– Soit.
– Dans les prés du passeur ?
– Le lieu et l’heure me conviennent ; mais laissez-moi vous dire, monsieur le comte, que je ne comprends pas la querelle que vous me faites au moment où je vous sauve la vie.
– Vous me sauvez la vie, vous ! fit Marillac avec un dédain qui fit pâlir Maurevert.
Le bravo eut un éclair de rage dans les yeux. Mais il se contint et reprit :
– C’est sans doute un grand honneur pour moi, mais cela est. Je suis arrivé devant le couvent à l’instant même où la foule furieuse de je ne sais quoi, allait se ruer sur vous. Avec mes amis, je vous ai pris et transporté ici. Sans moi, vous étiez donc mort, monsieur le comte.
Marillac avait écouté ces explications avec une attention étonnée.
– Monsieur, dit-il alors, s’il en est vraiment ainsi, je ne puis qu’être surpris. Je ne suis pas de vos amis, je crois…
– Eh ! avais-je besoin que vous fussiez mon ami pour essayer de vous tirer des mains de ces enragés ! Qui n’en eût fait autant à ma place ?… Et puis, je dois vous l’avouer, j’avais une raison secrète de me jeter à votre secours… bien que ce secours, pour plus de sûreté, se soit manifesté sous la forme d’une attaque.
– Quelle est cette raison, monsieur ?
– Le désir que j’ai d’être agréable à la reine mère, dit Maurevert en s’inclinant avec un respect outré.
Marillac tressaillit et pâlit. Déjà Maurevert continuait :
– Si je ne suis pas de vos amis, monsieur le comte, si nous nous sommes même un peu regardés de travers à la dernière fête du Louvre, je n’en ai pas moins l’insigne honneur d’être des amis de la reine. Et savez-vous ce que la reine m’a dit tout récemment, à moi et à quelques autres de ses fidèles ? Elle a dit, en propres termes, qu’elle vous considérait comme un parfait cavalier, qu’elle avait pour vous une véritable affection et qu’elle priait tous ses amis de vous protéger en toutes mauvaises
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