L'épopée d'amour
maréchal lui avait obtenu cette fonction de gouverneur du Temple en se disant que peut-être un jour il aurait besoin d’une créature dans cette prison, au cas où il y serait enfermé…
Lorsque Damville se fut emparé du vieux Pardaillan, il l’expédia donc tout droit au Temple : il se méfiait de la Bastille dont le gouverneur Guitalens, bien que de ses amis, ne lui semblait pas assez énergique.
Puis il rendit compte de sa capture à la reine Catherine et s’en prévalut naturellement comme d’un grand service.
Le maréchal se réservait de questionner lui-même le vieux routier.
Son plan devait être renversé par Maurevert qui, ayant capturé le chevalier de Pardaillan, fut chargé par Catherine de procéder à l’opération de la question. On a vu que la reine avait l’intention d’assister, cachée, à cette opération.
On a vu, en outre que la reine avait fixé au samedi 23 août, dans la matinée, la torture des deux Pardaillan.
Et cette torture qui devait être la vengeance de Maurevert, elle l’avait présentée au bravo comme la récompense de l’assassinat de Coligny.
Maurevert donnait un cadavre à la reine. La reine lui en donnait deux. C’était royalement payé.
Depuis l’instant où il avait été transporté dans le couvent, le chevalier n’avait pas ouvert les yeux. Il songeait. Le visage immobile, un pli d’ironie au coin des lèvres, il attendait le coup mortel. Car il ne doutait pas que Maurevert ne fût décidé à le tuer.
« Je voudrais bien savoir pour quel compte ce Maurevert m’assassine. Je ne crois pas qu’il ait gardé rancune du coup d’épée à revers dont je le souffletai ; il n’en a gardé que la marque. Voyons, qui me fait tuer ? La grande Catherine ? Peut-être ! Pourquoi ? Parce que j’ai refusé de lui tuer son fils. Pauvre ami ! je crois que nous allons mourir ensemble… Au fait, le duc d’Anjou n’est peut-être pas étranger à ce qui m’arrive là ?… Quand je pense que je le traitai de laquais ! Hum, c’était dur… A moins que le duc de Guise et M. de Damville… pourquoi ? Parce que je sais leur secret ?… Que d’ennemis ! Il faut avouer qu’il m’était difficile d’échapper à une pareille meute ! Qu’ai-je donc à trembler ? Eh bien, Loïse épousera le comte de Margency, voilà tout ! »
Il fit un violent effort pour briser ses liens en se raidissant, en s’arc-boutant sur la tête et les pieds. Les cordes tinrent bon et il retomba en soufflant fortement.
Et toutes les fois que ce nom de Loïse revînt dans son triste monologue, le même effort le tordit dans un spasme impuissant.
Une dizaine d’hommes entrèrent tout à coup. Pardaillan rouvrit les yeux voulant regarder en face ses assassins. A sa grande surprise, il ne vit pas Maurevert, et ceux qui venaient d’entrer se contentèrent de le soulever et de l’emporter jusqu’à une voiture où il fut jeté tout ligoté. Au bout de vingt minutes, il comprit que la voiture passait sur un pont-levis. Puis il entendit le bruit grinçant d’une porte qu’on referme. Puis on le tira de sa prison roulante, et il reconnut qu’il était dans la cour du Temple. Il vit Maurevert qui causait avec un homme de haute taille, fort comme un hercule. Derrière cet homme, vingt gardes étaient alignés. Près de lui, deux geôliers portaient des flambeaux, car il faisait nuit.
– Monsieur de Montluc, disait Maurevert, vous êtes responsable de ces deux hommes jusqu’à samedi.
« Deux hommes ? se demanda le chevalier. Pourquoi jusqu’à samedi ?… Deux hommes ! Ah ! oui, Marillac… »
– C’est bon, monsieur de Maurevert, dit le gouverneur en riant ; j’en aurai tellement soin qu’ils ne voudront jamais me quitter. J’en réponds donc jusqu’à samedi. Et alors, samedi ?…
– Lisez ceci, dit Maurevert en tendant à Montluc un papier.
– Ah ! ah ! ricana le gouverneur. Question ordinaire…
– Et extraordinaire, monsieur de Montluc.
Le chevalier frissonna longuement.
– Pour samedi, à dix heures, bon !
– Prévenez le tourmenteur juré pour dix heures, dit Maurevert.
– Et les fossoyeurs pour midi ! acheva Montluc avec son rire épais d’ivrogne.
Alors toute cette vision disparut, la cour noire, la face rouge du gouverneur, les torches, les gardes… Saisi par cinq ou six geôliers, il fut entraîné dans l’antre formidable et sombre de la Tour carrée.
On monta un escalier. Une porte fut ouverte. Le chevalier fut
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