L'épopée d'amour
rapidement délié, puis poussé dans une sorte de cachot ; la porte se referma.
– Bonsoir, messieurs ! dit une voix que le chevalier reconnut pour celle de Montluc.
« Pourquoi messieurs ? » se demanda-t-il.
A ce moment, quelqu’un le saisit à pleins bras, quelqu’un qu’il ne put reconnaître dans la profonde obscurité. Mais ce quelqu’un l’ayant embrassé en poussant force soupirs, finit par dire d’une voix rauque de douleur :
– Toi !… Toi ici !… Toi dans cet enfer !
– Mon père ! s’écria le chevalier qui eut une seconde de joie intense.
Et tendrement, il serra à son tour le vieux routier dans ses bras.
– Nous sommes perdus, cette fois, reprit Pardaillan père. Pour Moi, le mal n’est pas grand. Mais toi ! toi, mon pauvre chevalier !…
– Bon ! Vous saviez bien que notre destinée était de mourir ensemble !
– Et vous aurez satisfaction, ricana derrière la porte la voix de Maurevert. C’est grâce à moi, messieurs, que vous êtes ici dans la même chambre ; c’est grâce à moi que vous subirez la même torture ; c’est grâce à moi que vous mourrez ensemble ! Voilà votre coup de cravache payé !… Remerciez-moi, et bonsoir !… Samedi, à dix heures du matin, nous reprendrons la conversation, avec le bourreau en tiers.
– Misérable ! hurla le vieux routier en se jetant sur la porte, qu’il secoua frénétiquement.
Le chevalier n’avait pas bronché.
Cette fois, d’ailleurs, il entendit des pas qui s’éloignaient.
– Viens ! reprit Pardaillan en prenant son fils par la main. Viens t’asseoir, mon pauvre enfant…
Et comme il connaissait le cachot qu’il habitait depuis quelques jours, il conduisit le chevalier dans un coin où se trouvait entassée de la paille, à la fois siège et couchette des habitants de ce lieu sinistre.
Le chevalier allongea sur la paille ses membres endoloris par la pression des cordes. Le premier moment de joie instinctive passé, il éprouvait maintenant une douleur plus accablante qu’au moment où il avait été arrêté. Vaguement, sans se le dire, il avait compté sur son père pour sauver Loïse ! Lui mort, le vieux serait encore là pour protéger la jeune fille et la mettre en sûreté. Voilà les calculs qui avaient donné à ce cœur généreux la force de regarder la mort en face.
Tout était fini ! Le vieux Pardaillan était prisonnier comme lui.
Et alors, une nouvelle angoisse vint le saisir à la gorge, et cela lui parut si amer qu’il lui sembla qu’il allait mourir à l’instant.
Quoi ! Son père ! Il allait le voir torturer sous ses yeux ! Il allait entendre les horribles cris du pauvre vieux qu’il avait tant aimé ! Il allait voir ses membres se tordre et panteler sur le chevalet !…
Le chevalier éclata en sanglots. Il saisit dans ses bras la tête vénérée au vieux routier.
– O mon père ! bégaya-t-il… mon pauvre père !…
Pardaillan demeura tout saisi, tout bouleversé d’entendre pleurer son fils.
C’était la première fois !…
Oui ! Si loin qu’il remontât dans sa vie, jamais il n’avait vu pleurer le chevalier… Lorsque, tout enfant, il lui était arrivé de le corriger d’une taloche – bien rare du reste – le petit lui tournait le dos après l’avoir fièrement regardé, mais il ne pleurait pas !… Plus tard, lorsqu’après de longues années passées ensemble sur les routes à travers les mêmes aventures et les mêmes périls, il s’était décidé à partir seul de Paris, il avait bien surpris dans l’œil du chevalier, quelque chose comme une humide buée… mais il ne pouvait dire qu’il eût réellement pleuré ! Lorsque le jeune homme éperdu d’amour avait eu cette conviction que sa Loïse ne serait jamais à lui, il n’avait pas pleuré encore !
Ces larmes brûlantes qui tombaient sur ses cheveux blancs lui causèrent une inexprimable sensation d’étonnement douloureux.
– Jean, dit-il d’une voix basse et tremblante, Jean, mon fils, je cherche vainement dans mon cœur des paroles de consolation… Comme tu dois souffrir, mon pauvre enfant !… Si jeune, si beau, si brave… Si je pouvais mourir deux fois, et que cela suffise aux misérables… mais non ! c’est à toi qu’ils en veulent… ils ne m’ont pris que pour t’atteindre plus sûrement… Pleure, mon petit Jean, pleure avec ton vieux père qui se maudit de n’avoir que des larmes à t’offrir dans ce suprême moment… pleure ta jeune
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